Allemagne 3,80 € - Belgique 3,30 € - Canada 5,75 CAD - DOM 4,20 € - Espagne 3,70 € - Grande-Bretagne 5,20 GBP - Grèce 3,70 € - Italie 3,70 € - Liban 9 000 LBP - Luxembourg 3,30 € - Maurice Ile 5,70 € - Portugal 3,70 € - Suède 44 SEK - Suisse 5,50 CHF - TOM 800 CFP
No.887 du 28 novembre au 4 décembre 2012
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Gaza sous les bombes Madness
jeunesse éternelle
la gauche déprime la culture
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par Christophe Conte
cher Jean-François Copé,
A
u diable Conare, Cocoe, Dom, Tom, Wallis et Futuna, pour moi, le président, c’est toi. Moi, j’y ai cru depuis le début. Avec ton expérience de fils de proctologue, j’étais certain que tu allais l’exploser, le Fillon. Tu as sans doute été aidé par les combines occultes de la Cocoe, face à François le Cocu, mais le résultat est là. Te voilà élu président de l’UMP à travers une victoire éclatante, éclaboussante en dépit des accusations internes de fraude qui entachent le scrutin et, pour plus longtemps, ta conscience. Mais peu importe, tu es président. Pré-Si-Dent, Jeff, ça claque un peu plus que secrétaire général, poste indigne de ton standing et de tes ambitions que tu occupais jusqu’ici. Le soir de ton autoproclamation, certain de ta victoire, loin pourtant d’être acquise, tu
t’enfermas dans ton bureau “entouré de tes proches collaborateurs”, selon le rituel consacré des présidents nouvellement élus. À un moment, j’ai même cru que tu allais descendre les Champs-Élysées en Safrane, demander la protection officielle réservée aux chefs d’État et réunir tes partisans à la Concorde. À droite, pourtant, la place était plutôt à la discorde et j’avoue qu’on rigole bien devant le déballage pathétique de vos inimitiés, dévoilant cette “fracture morale”, selon les mots de ton rival qui s’y connaît en fracture depuis ses exploits en scooter de l’été dernier. “La famille, c’est sacré”, beuglaient il y a quelques jours dans la rue nombre de tes partisans “décomplexés” et contre “le mariage sodomite”. On peut dire en effet que vous formez une sacrée famille, un modèle à dupliquer, un bel exemple pour la jeunesse. Cette famille décomposée, dont tu es désormais
le chef, on rêve à l’évidence d’y appartenir, surtout maintenant que tu as poussé mémé UMP dans les orties du FN. Un mariage triste, bien plus dégénératif à terme pour la société que le mariage gay, crois-moi. Après tes pains au chocolat rassis(tes), tu n’auras plus qu’à aller toi aussi bâfrer des viennoiseries avec la fille Le Pen au prochain bal des chemises brunes. Toi qui parles au cours de ta campagne abjecte de “pays réel” en hommage discret mais crapuleux à Charles Maurras, on voit plus très bien ce qui te retient. Tu pourras compter pour accomplir ton œuvre sur le soutien de la Droite forte, baptisée sans doute ainsi en raison de son odeur, dont la motion est arrivée en tête parmi les choix des militants. Ses instigateurs, Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, qu’en interne à l’UMP ceux chez qui persiste un semblant de lucidité surnomment Adolf et Benito, vont devenir tes plus proches souffleurs d’idées, tuyautés par Patrick Buisson, l’indéracinable morbac qui vous tire par la couille (extrême) droite depuis des années et qui tient enfin à travers ton succès sa revanche sur celles, molles, vaguement plus à gauche, NKM, Bachelot ou Baroin, qui le crucifièrent en mai. Bref, c’est la fête du slip. Une pelletée de plus sur la tombe du Général, une aubaine pour Borloo qui va récupérer les miettes du pain au chocolat, un grand bazar qui nous fera rire encore quelques mois… Jusqu’aux prochaines élections, les vraies, pas vos simulacres incestueux, où l’on verra sans aucun doute que les idées fétides que tu t’es risqué à décomplexer auront surtout pour effet de faire encore grossir les urnes bleu Marine. Car l’original, c’est connu, vaut toujours mieux que la Copé. Je t’embrasse pas, j’ai piscine chez Ziad. Billets durs, la compile (Ipanema Éditions), 12 €, en librairie ou en vente sur boutique.lesinrocks.com participez au concours “écrivez votre billet dur” sur
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No.887 du 28 novembre au 4 décembre 2012 couverture Théo Mercier, Le Solitaire (2009), collection Antoine de Galbert, photo Marc Domage, courtesy de l’artiste et galerie Gabrielle Maubrie
09 billet dur cher Jean-François Copé
14 on discute #grosbleukitache
16 quoi encore ? 18 sur le vif l’UDI de Jean-Louis Borloo fédère
20 événement
40
Alessandro Bianchi/Reuters
la fin du monde avec Sébastien Thoen
crise à l’UMP : quand y en a plus, y en a encore
22 ici à l’Assemblée, la vie tranquille du FN
23 polémique Nique la France, ouvrage et titre rap, dans le collimateur de la très droitière Agrif
18
24 reportage 26 ailleurs en Italie, le politique Nichi Vendola détonne
28 la courbe
Guillaume Binet/M.Y.O.P
à Gaza, sous les missiles israéliens, le sort tragique d’une famille palestinienne
du pré-buzz au retour de hype + tweetstat
30 à la loupe La Parenthèse inattendue et ultracliché
40 culture en crise budgets en berne, surprécarisation de l’intermittence, subventions réduites ou supprimées : la politique culturelle du gouvernement déçoit et inquiète. Rencontre avec divers acteurs du milieu et avec la ministre Aurélie Filippetti
32 idées haut fédérer la contestation à un niveau européen, avec l’altermondialiste Susan George
64 Philippe Garcia
36 où est le cool ? dans une pipe, Au Vieux Panier à Marseille, dans un smoking Acne…
54 le mystère des manuscrits quel destin pour les 6 000 textes qui arrivent chaque année dans les maisons d’édition ? Enquête
58 Madness, forever young les rude boys sont de retour avec un nouvel album, Oui Oui Si Si Ja Ja Da Da. Tout à fait
64 Héléna Klotz, la loi du désir avec L’Âge atomique, elle réalise un premier film sensuel et entêtant. Portrait
en couverture
les créatures de Théo Mercier Cet artiste de 28 ans fait la une du magazine et de celle de notre supplément cadeaux. Donnant le pouvoir à l’imagination, Théo Mercier, qui vit et travaille à Paris, réalise des sculptures loufoques, ouvertes à de multiples interprétations. Exposée au Tri Postal de Lille jusqu’au 13 janvier, son œuvre sera au Lieu Unique de Nantes, à partir du 2 mars, après un passage à Los Angeles. 28.11.2012 les inrockuptibles 11
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66 L’Âge atomique d’Héléna Klotz
68 sorties Les Invisibles, Populaire, Lola Versus…
71 dvd Woman on the Run de Norman Foster
72 story Jonas Mekas fête ses 90 ans. Rencontre
74 festival compte rendu du festival du film de Rome
76 jeux vidéo
la Wii U débarque en Europe : must have
78 séries
Mad Men, une 5e saison en demi-teinte
80 Melody’s Echo Chamber un joyau hexagonal surgi de la blogosphère
82 mur du son les Foals en France, le fonds d’Of Montreal, la FM de Sky Ferreira…
83 chroniques The Blue Nile, Meridian Brothers, Paul Banks, Scott Walker… + concerts
96 Radiguet, génie ressuscité les écrits magistraux de l’auteur mort à 20 ans réunis dans un double volume
98 idées Michel Erman interroge la face cachée de la vengeance
99 roman Daniel H. Wilson
100 tendance La Vérité sur l’affaire Harry Quebert : bon ou mauvais polar ?
102 bd Seth, Riad Sattouf
104 Les Chiens de Navarre en forme, en rage, en folie et en tournée + Revolve et Twelfth Night (La Nuit des rois)
108 quel art à Abu Dhabi ? malgré les projets pharaoniques, difficile de discerner une vision de l’art originale + rétrospective Édouard Levé
112 tout pour la jeunesse France Culture et France Télés lancent leurs plates-formes web de savoirs à destination des étudiants
114 la vague YouTube face à la mutation des usages télévisuels, le site se déploie avec soixante nouvelles chaînes thématiques
116 programmes Résistance/médecins/légionnaires…
118 net geek, bidouille et open-source hardware : on peut tout faire
120 best-of profitez de nos cadeaux spécial abonnés
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sélection des dernières semaines
122 print the legend
comment je n’ai pas interviewé Gene Tierney et Manchette
les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail :
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l’édito
courrier
#grosbleukitache Pendant qu’on parle de la forme, on oublierait presque de penser au fond. À la lame de fond. Pendant qu’on moque le concours du “j’ai une plus grosse arme fatale que toi”, qu’on se désole d’un mauvais remake des Tontons flingueurs, qu’on se jette de bizarres noms d’oiseaux à la tête – espèce de conare ! Va donc, eh cocoé ! –, qu’on suit minute par minute ce feuilleton pathétique, mettant aux prises les ego des chefs de clans puis ceux de leurs lieutenants, on ne parle plus de ce que charrie dans son sillage le rafiot UMP. Au-delà de la cohésion d’un parti fait de bric et de broc, c’est la cohésion nationale qui est ébranlée. Et pas seulement depuis une semaine, et pas seulement à cause de Jean-François Copé. Il était temps qu’elle se réveille cette “droite gaulliste”, “droite humaniste”, tellement mise en émoi par un soi-disant vol de pain au chocolat, ou l’usage de l’expression frontiste “racisme anti-blanc” ! Il était temps qu’elle se rappelle les valeurs qu’elle est censée incarner. Que ne l’a-t-on entendue depuis dix ans quand, de rodomontades en coups de menton, au nom d’un prétendu réalisme, d’une posture assumée de “droite décomplexée” – oui, déjà –, Nicolas Sarkozy faisait siennes les marottes du FN ? Où était ce chœur de vierges quand l’alors ministre de l’Intérieur promit de nettoyer au Kärcher les banlieues françaises, de les débarrasser de la racaille qui leur pourrit la vie – on en est où, au fait, de cet engagement ? –, quand il fixa dans les esprits, pendant la campagne de 2007, l’image de musulmans égorgeurs de moutons dans leur baignoire, qu’il inscrivit dans les textes la menace intrinsèque de l’immigré en créant le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, qu’il dégaina les tests ADN pour le regroupement familial des étrangers, qu’il se mit à louer l’immigration choisie – on en est où, au fait, de cette brillante idée ? –, qu’il fit de la traque des
Audrey Pulvar
sans-papiers et de leur famille un sport national obligatoire pour la police, qu’il désigna les Roms à la vindicte, qu’il laissa comparer les bénéficiaires de la solidarité nationale (donc nous tous, en réalité) à un cancer, ou classifier les civilisations ? Bref, ces dix années d’obscurantisme pendant lesquelles on apporta à de vrais problèmes de fausses solutions. Ils étaient enfermés dans une chambre secrète et capitonnée, les “héritiers du Général”, pendant la campagne présidentielle de 2012, l’achèvement de dix années de virages à droite successifs, leur apothéose, avec panneau de douane en arabe et légitimation de l’extrême – “le FN est un parti comme un autre” ? Ils n’ont pas vu venir le désastre ? Ils n’ont pas compris que depuis dix ans l’UMP est dans la main du FN auquel il suffit maintenant de refermer le poing ? Que depuis dix ans le programme et les contrevérités extrême-droitières ont infusé dans l’inconscient collectif ? Maintenant que le mal est fait, comment s’étonner que Jean-François Copé, nourri des sondages, nombreux, démontrant le souhait des électeurs de l’UMP d’un “rapprochement” avec le FN, ait poursuivi dans la voie tracée par le leader charismatique ? Le putatif nouveau président umpiste poursuit la stratégie qui manqua réussir à Sarkozy. À tort. Comme pour la présidentielle, c’est un calcul à courte vue. Un suicide. Car à la fin de la partie, la Marine ramasse la mise, l’UMP explose et la droite se désintègre. Pour quelle recomposition ? JFC peut bien nous raconter qu’il ne pactisera jamais avec le diable, comment fera-t-il la différence dans les esprits aux prochaines échéances électorales ? Copé rêve que son droitisme décomplexé le porte à la présidence du pays, la réalité c’est qu’il sera, au mieux, le Premier ministre de Marine Le Pen. lire aussi pp. 20-21
souviens-toi, Barbara C’était un soir de mars 1988, nous étions venus sans trop y croire vous attendre, mais vous étiez au rendez-vous, vous avez posé vos bagages en Moselle. Paul McCartney, Éric Burdon et Raymond Devos nous avaient fait faux bond dans cette petite salle d’un CAC de province où Léo Ferré s’était aventuré à venir proposer une version interminable, pour les non initiés, du Bateau ivre de Rimbaud. La salle de 900 places se proposait d’accueillir une Barbara que j’avais découverte un dimanche, lors d’un Discorama proposé par Denise Glaser (…). Vous vous avancez, le corps tendu comme un arc, la tête haute, le buste pointant vers l’avant, figure de proue d’un vaisseau fantôme battant pavillon noir. Au fil des notes et des mots, vous vous faites offrande, accessible, terriblement proche. Vous vous plaisez en cet endroit chaud où L’Aigle noir vient de faire son nid (...). Nous vous suivons, les yeux embués de larmes, jusqu’à Nantes… Et cette Petite Cantate, jouée du bout des doigts, chacun la prend pour soi… avant de terminer, à deux pas de la frontière allemande, par Göttingen… Puis il fut temps, pour la dame brune de nos pensées, de nous quitter… Jean-François Hagnéré
UMPing jack flash On a envie d’adresser à l’UMP le même bras d’honneur que celui que Longuet a adressé aux Algériens : chers messieurs de l’UMP, vous vous en étiez donné à cœur joie après le psychodrame de Reims en 2008 ; vos propos de l’époque (…) vous rattrapent, à nous donc de savourer ! Attention tout de même à ce que tout ceci n’aille pas trop loin, car si ce fiasco est risible, il peut bel et bien se transformer en terreau fertile pour la réimplantation de Sarkozy. David
écrivez-nous à courrier@ inrocks.com, lisez-vous sur http://blogs.lesinrocks.com/ cestvousquiledites
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je me suis préparée à la fin du monde avec
Sébastien Thoen
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n cas de fin du monde imminente, il est conseillé de stocker vivres, armes, médicaments et shampoing deux-en-un. A posteriori, il est aussi recommandé de ne pas se faire remarquer pour ne pas attirer l’attention des zombies/nuages radioactifs/nazis. Facile à dire : la discrétion n’est pas la qualité première de l’abri antiatomique qui tient lieu de rendez-vous avec Sébastien Thoen en cette froide journée de novembre. Sur la place de la Bourse, c’est une belle pièce à vivre de huit mètres carrés (toilettes comprises) posée sur un semi-remorque qui s’offre à nous grâce à National Geographic – ici en pleine promo de sa série documentaire Familles Apocalypse, consacrée aux “survivalistes”, qui croient la fin du monde proche et s’y préparent de manière quasi militaire. Vingt-cinq tonnes de béton armé sur lequel a été taggué le nuclear symbol, bref, un endroit cosy pour parler du prochain volet d’Action Discrète consacré, oh surprise, à la fin du monde. Pour ce volet de cinquante-deux minutes, l’équipe est allée à Bugarach, dans l’Aude, cette toute petite partie de l’Hexagone censée survivre à la fin du monde prévue pour le 21 décembre. “Ça nous arrangeait que ce soit pas trop loin parce qu’on n’avait pas beaucoup de budget : tout est pour le foot et le Grand Journal à Canal”, annonce Sébastien Thoen, aux manettes du programme depuis 2006. Cette année,
les denrées qui nous sont proposées donnent moyennement envie de survivre
l’émission quitte sa case hebdo du dimanche pour prendre de l’ampleur avec des formats longs, axés sur un sujet fort pour explorer et “si possible, inventer de l’actu” en mêlant caméras cachées et parodies bien senties. Dans cette perspective, “l’étrange énigme du mystérieux village paranormal de Bugarach” s’impose comme un magnifique écho à tous ces reportages des chaînes de la TNT où les adjectifs qui font peur pullulent mais où il ne se passe jamais rien – si ce n’est des gens filmés de dos ou des mouvements de lampe de poche dans la nuit. Tranquillou, assis dans l’abri éclairé par dynamo, Sébastien Thoen raconte : “Là-bas, on s’est fait passer pour une équipe de journalistes qui voulaient ramener le meilleur docu sur la fin du monde. Mais une fois sur place, à part cinq illuminés, dix hippies et trois sophrologues qui nous racontent qu’il y a sûrement des ovnis dans la montagne et que les Mayas n’avaient probablement pas tort, tous les autres nous disent d’arrêter ces conneries et qu’il n’y a jamais rien eu ici.” Résultat : alors qu’il ne se passe rien, reste cette obligation impérieuse à laquelle tout journaliste télé est confronté quotidiennement : “faire des images, montrer des choses”. Outre les traditionnels screenshots destinés à zoomer sur un truc indéfini et ultrapixellisé, la petite bande prend les choses en amont et choisit de “créer des événements”. Un parti pris qui passe notamment par la projection de toutes sortes d’objets (assiettes en plastique, passoire, peluche Alf) derrière le dos de locaux interviewés ou par un excellent déguisement de “petit être de la nature” lors d’une visite initiatique en forêt. Dans notre bunker parisien, l’ambiance, elle, est moins bucolique. Sur l’étagère en Formica qui fait face à six couchettes superposées, les denrées qui nous sont proposées (Régilait, énormes conserves de repas complets type pommes de terre en sauce, Ovomaltine et gelée orange à boire) donnent moyennement envie de survivre. À la sympathique hôtesse ici présente et vêtue d’une fort peu saillante combinaison orange en plastique, Sébastien Thoen demande légitimement : “Tu peux pas mettre des Délichoc et du Tropicana comme tout le monde ?”, et finit par nous confier que la chose à laquelle il faut aujourd’hui se préparer, c’est surtout “Jean-François Copé en 2017”. L’angoisse, la vraie. Diane Lisarelli photo Basile Lemaire
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famille d’accueil D
eux mois d’existence et déjà le vent en poupe. Avec six mille adhérents gagnés depuis les bisbilles à l’UMP, l’UDI n’a qu’à laisser faire. Et accueillir les bras ouverts. Devant près de quatre cents nouveaux sympathisants réunis à la Mutualité (Paris Ve), là où le parti est né le 21 octobre, Jean-Louis Borloo, à la coule, a souhaité la bienvenue, autour d’un petit buffet, “à ceux qui n’ont jamais milité, à ceux qui viennent de familles différentes”, mais surtout “à ceux qui considèrent que le seul parti décomplexé n’est pas la seule réponse”. Un coucou à Copé. Décidément, à l’UDI, on rit. Marion Mourgue photo Guillaume Binet/M.Y.O.P pour Les Inrockuptibles
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Jean-Louis Borloo, le président de l’UDI (Union des démocrates et indépendants), fête l’arrivée des nouvelles troupes. À la Mutualité, Paris Ve, samedi 24 novembre
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un univers pitoyable Depuis la “victoire” de Jean-François Copé, puis celle, quelques minutes plus tard, de François Fillon, rien ne va plus à l’UMP. Récit de la saison 1 d’un feuilleton pathétique où tous les coups sont permis.
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imanche 18 novembre Jean-François Copé, à la tribune, souriant, annonce qu’il a gagné avec 1 000 voix d’avance. La commission chargée de proclamer les résultats, la Cocoe, n’a pas encore statué. François Fillon est fou de rage : “Il nous fait quoi là ? C’est un putsch !” François Fillon réplique et annonce une avance de 224 bulletins. Coup de fil. C’est Copé qui appelle. Il presse Fillon de reconnaître son succès. Pas question. “Jean-François, je conteste ta victoire.” lundi 19 novembre La Cocoe reprend ses travaux à 10 heures. Travaille sans s’arrêter, pizzas et bananes à volonté. En ce début de semaine, on croit enfin avoir le nom du vainqueur. La Cocoe proclame Copé gagnant avec 50,03 % des voix. Bis repetita. Président une deuxième fois. Mais autour de lui à la tribune, certains ont changé. C’est le jeu des sept erreurs. Luc Chatel est réapparu.
Rachida Dati est toujours là. Copé déclare “avoir les mains et les bras ouverts”. Fillon prend acte de sa défaite mais parle d’une “fracture morale et politique”. Dans la soirée, Copé propose la vice-présidence de l’UMP à Fillon. “Une offre insultante”, précise un proche de l’ex-Premier ministre. Son directeur de campagne Éric Ciotti la juge “grotesque”. mardi 20 novembre Fillon réunit quelques députés à l’Assemblée. Il ne veut pas se lancer dans une procédure de recours : “Cela mettrait en danger l’unité du mouvement.” Depuis douze heures, il a eu plusieurs fois Nicolas Sarkozy au téléphone, qui lui conseille de ne pas porter plainte : “N’abîme pas ton image, ne va pas au contentieux.” Devant ses proches, Fillon martèle : “Je ne lâche rien, je continue la politique.” Son objectif, se refaire avant 2017 grâce à son club France.9. Et surtout ne pas faciliter la tâche de son ennemi. Il demande à ses troupes de ne pas entrer dans les instances du parti
et écrit un mail aux militants qui l’ont soutenu : “Je continuerai avec vous à faire entendre ma voix. Je ne lâche pas !” Au 20 heures de TF1, Copé, tout sourire, explique que, pour lui, le vrai adversaire est François Hollande. Au siège du parti, tout le monde pense que le feuilleton est fini, mais Laurent Wauquiez, pro-Fillon, découvre que la Cocoe a confondu les Français de l’étranger avec ceux de l’outre-mer dans le décompte final. Soit 1 304 bulletins envolés. Belle boulette. Wauquiez appelle immédiatement Fillon. mercredi 21 novembre Fillon et Copé se téléphonent. Jusque-là, tout va bien… Le bureau politique débute. Aucun filloniste n’est présent, à l’exception de Valérie Pécresse. Wauquiez, Ciotti, Fillon recomptent les voix en intégrant l’anomalie repérée la veille. Fillon a la certitude qu’il aurait pu gagner. À ce moment-là, Copé est encore heureux. “Moi je t’aiderai”, commente Alain Juppé pas encore casque bleu. Ça ne va pas tarder.
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“n’abîme pas ton image, ne va pas au contentieux” Nicolas Sarkozy à François Fillon
François Fillon à la sortie d’une réunion confidentielle de son groupe, au Musée social, le 21 novembre
À 14 h 30, branle-bas de combat chez les journalistes prévenus par mail et SMS. On se croirait dans Le Parrain : Wauquiez, Ciotti, Pécresse, en noir, sur un fauteuil noir, le teint pâle, lumière blanchâtre. Il ne manque que la musique… Ciotti pointe une “erreur manifeste et grave” et demande le rétablissement des résultats. Selon eux, Fillon a 26 voix d’avance. Il se fend d’un communiqué : “Je réclame la vérité, nous la devons à nos adhérents”, et demande à Juppé de prendre la direction provisoire du parti. Copé n’a pas vu le coup venir. Salle des quatre colonnes à l’Assemblée, il est blême : “Il y a eu des résultats. Il faut maintenant se rassembler et travailler ensemble” et que cessent ces “chicayas”. Comprendre : il n’est pas près de lâcher le fauteuil. À 17 heures et quelques mètres de là, au Musée social, les fillonistes se réunissent. Ils sont une centaine autour de leur champion. “On nous a volé la victoire.” Fillon “réclame la vérité sur les résultats de l’élection.” La demande est appuyée par 134 élus. Certains menacent de créer un groupe dissident dès le mois de novembre. L’UMP aurait du mal à s’en relever. La battle se poursuit par JT interposés. C’est œil pour œil, dent pour dent. Sur le plateau de TF1, Fillon annonce qu’il renonce à la présidence du parti mais qu’il pourrait saisir la justice. Il appelle son adversaire le “secrétaire général”. Copé réplique sur France 2, cinq
minutes plus tard, en traitant Fillon de “mauvais perdant”. Benoist Apparu : “Nous pensions que l’on avait touché le fond de la piscine. Nous sommes en train de le creuser.” jeudi 22 novembre 10 heures. Fillon réunit ses fidèles dans son bureau. Un mot d’ordre : Juppé est le seul légitime pour régler le conflit. À 11 heures, Copé réunit ses proches à l’UMP. La plume de Sarkozy, Henri Guaino, est là pour l’occasion. Tous préparent la conférence de presse de 12 heures. Copé affirme que Juppé pourra avoir un statut “d’observateur” dans la commission nationale des recours (la Conare, quel nom !). Impensable pour le camp Fillon qui ne fait pas confiance à cette instance, trop copéiste à ses yeux. “Ce sont les statuts”, réplique le camp Copé. Juppé hausse le ton et lance un ultimatum aux deux ennemis : il propose de présider une instance collégiale indépendante pour examiner les résultats. 14 h 15. Communiqué surréaliste de la Cocoe, qui reconnaît avoir oublié de comptabiliser les voix de trois circonscriptions d’outre-mer, ce qui “aboutirait vraisemblablement à une inversion des résultats”. Mais elle refuse de revenir dessus. Copé appelle Fillon et lui demande un tête-à-tête. OK si Juppé est présent. Refus de Copé. Son bras droit Jérôme Lavrilleux est dépêché à la tribune. Les attaques contre Ciotti, pro-Fillon, et le “bourrage d’urnes massif” à Nice sont violentes. Mais il finit par lâcher, mâchoires serrées que Copé acceptera le verdict de la commission Juppé. Dans la soirée, Fillon envoie un énième communiqué et se félicite que la proposition de Juppé ait été acceptée par tous. Sur son compte Twitter, Juppé est à bout : “Ce qui est désormais en cause, ce n’est plus la présidence de l’UMP, c’est l’existence même de l’UMP.” Le “meilleur d’entre nous” fait don de sa personne… Oui mais voilà, Copé ne veut pas de la commission Juppé. vendredi 23 novembre La majorité des Français n’a même pas fini d’avaler son petit déjeuner que Fillon dégaine déjà sur RTL : “Je veux dire qu’un parti politique ce n’est pas une mafia.” Copé fait mine de s’étrangler : “Ce terme est profondément choquant, intolérable”, réplique-t-il avant d’inviter des journalistes à déjeuner pour reprendre son refrain sur Fillon “mauvais perdant”. À Bordeaux, Juppé tient sa deuxième conférence de presse en 24 heures. Et demande le retrait de la commission des membres ayant soutenu l’un ou l’autre des candidats. Copé rejette la demande en bloc : “C’est impossible
juridiquement”. À l’UMP, c’est un va-et-vient incessant de ceux qu’on avait vus faire le V de la victoire dimanche soir, au moment de la première manche. Un militant incrédule commente : “Ça va se terminer comment, cette histoire ?” Copé accepte de rencontrer Juppé et Fillon dimanche à 19 heures mais précise qu’il n’acceptera jamais de “se faire voler sa victoire”. samedi 24 novembre JR est mort mais l’esprit de Dallas survit à l’UMP. Un sondage BVA auprès des sympathisants UMP montre l’étendue des dégâts : moins 13 points de bonnes opinions pour Fillon (76 %), moins 15 pour Copé (64 %). dimanche 25 novembre Une semaine est passée… Juppé sur Europe 1, dès le matin, explique qu’il n’a “aucun pouvoir pour imposer quoi que ce soit. Je me place dans l’espoir de réussir même si j’ai très peu de chances”. “On ne lâchera rien. Pas question de se faire piquer le truc”, lâche un soutien de Copé. Sarkozy et Juppé se parlent plusieurs fois. L’ancien chef de l’État fait savoir qu’il est “favorable à toute initiative qui peut permettre de régler la situation”. Derrière les deux prétendants pour 2017, Nicolas Sarkozy, soucieux de se ménager la possibilité de revenir sur le devant de la scène, “n’acceptera jamais qu’Alain Juppé s’empare des rênes de l’UMP”, confie un de ses proches. Frédéric Lefebvre va même plus loin : il met publiquement en garde contre une médiation Juppé qui dérive en “prise de contrôle à l’ancienne”. Copé aurait-il interprété ces déclarations comme un feu vert pour ne rien céder ? À 19 h 45, Juppé jette l’éponge après trente minutes d’une réunion entre Copé et Fillon. Il estime que les conditions d’une médiation ne sont pas réunies et considère sa mission est achevée. Face caméra, Copé sourit toujours. Il explique qu’il ne faut pas mélanger les processus politique et juridique. La commission des recours doit d’abord proclamer le nom du vainqueur, et ensuite seulement, viendra le temps de la médiation. Quelques minutes plus tard, communiqué de Fillon : il annonce qu’il saisira la justice pour “rétablir la vérité des résultats”. Il accuse son adversaire d’être seul responsable de l’échec de la médiation Juppé. Le député Lionel Tardy, pro-Fillon, appelle aussitôt à la création d’un groupe différent de celui de Copé à l’Assemblée. Une arme pour les fillonistes qui priverait les copéistes d’une sacrée manne financière. Tweet de @Benoistapparu : “Un nouveau courant pour l’#UMP la droite morte !” À suivre. Marion Mourgue photo Guillaume Binet/ M.Y.O.P pour Les Inrockuptibles 28.11.2012 les inrockuptibles 21
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Guillaume Binet/M.Y.O.P
Alexandre Marchi/L’Est Républicain/MaxPPP
“Gilbert Collard se veut iconoclaste et transgressif, mais je le trouve assimilé. Il s’est glissé dans le moule”
l’avancée sousmarine du Front En juin, l’arrivée au Palais-Bourbon de deux députés FN, ou apparenté, faisait grand bruit. Bien insérés depuis, malgré une activité peu probante, Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen tendent la main à la droite et gagnent du terrain.
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ais pas ton Collard.” Cette petite phrase, glissée par un élu à un autre, salle des Quatre Colonnes, fait la fierté de Gilbert Collard, député du Gard depuis le mois de juin. “Ça veut dire que je suis devenu la référence du casse-couilles à l’Assemblée !”, se félicite-t-il. Il poursuit la surenchère : “Ce matin, sur la comptabilisation du vote blanc, je leur ai dit que c’étaient tous des faux-culs. Vous en connaissez beaucoup, vous, des députés qui osent le dire ?” Mais son vrai coup d’éclat frontiste dans l’hémicycle a eu lieu le 12 septembre. À l’ordre du jour : les emplois d’avenir. Collard, lunettes sur le nez, propose un amendement pour les réserver aux Français. Malaise à droite et protestations sur les bancs de gauche. Collard enlève puis remet ses montures, agite les bras, provoque : “Mais que vous ont fait les Français ? Ah bon ? On ne peut pas parler de la France, ici ? Si on ne peut pas parler de la France à l’Assemblée nationale, je vous laisse. Je n’ai pas à parler à des gens qui n’aiment pas la France. Quelle honte !” Le micro est coupé mais Collard poursuit, inaudible. Sobrement, Serge Letchimy, député apparenté socialiste
Jean-Jacques Urvoas, député PS
de Martinique, commente : “On ne nous avait pas habitués à ça : à la fois à cette tenue et à ce genre de prise de position. M. Collard nous dit qu’on hurle parce qu’on a parlé de la France, c’est lui qui hurle parce qu’on s’oppose à sa conception de la société française. Dans la société française, on ne fait aucune distinction de race, de couleur ou d’origine.” Le texte est rejeté à main levée, comme les trentecinq autres amendements que Gilbert Collard a présentés. C’est le sort classique réservé aux députés de l’opposition, surtout quand ils n’appartiennent à aucun groupe politique. Mais, plus surprenant, il n’a pas saisi la seule opportunité qui lui était offerte de poser une question au gouvernement. “Il s’est désisté, explique son assistant parlementaire, il n’avait pas matière à intervention.” En tant que président de la commission des lois, le socialiste Jean-Jacques Urvoas décrypte : “L’image qu’il véhicule à l’extérieur est celle d’un perturbateur, mais dans le travail au quotidien il est assez conformiste. Il se veut iconoclaste et transgressif, mais je le trouve assimilé. Il s’est glissé dans le moule. En fait, avec nous, il intervient plus comme avocat que comme député.” Le duo qu’il forme avec Marion Maréchal-Le Pen est donc loin de posséder la force de frappe qu’avaient leurs trente-cinq prédécesseurs élus de 1986 à 1988. À l’époque, les députés du Front national (Bruno Mégret, Bruno Gollnisch, Jean-Pierre Stirbois…), forts du groupe qu’ils avaient pu constituer, perturbaient le fonctionnement de l’Assemblée à coups de propositions chocs. Et ce n’est pas Marion Maréchal-Le Pen qui va semer le trouble. Parmi sa trentaine d’amendements, on retrouve bien la préférence nationale en colonne vertébrale : elle demande la priorité nationale pour le logement social ou l’aide médicale. Mais pour le reste, “on ne l’entend jamais, rapporte un fonctionnaire du Palais-Bourbon. Elle n’a pas d’activité probante. Sa présence est un non-événement.” “Ils sont nouveaux dans la carrière et en phase d’apprentissage”, tempère Louis Aliot, le vice-président du FN. “Maintenant qu’elle a son master de droit, on va la voir beaucoup”, espère son mentor, Jean-Richard Sulzer, professeur à Dauphine. Cet ancien assistant d’Edgar Faure, devenu celui de Collard, connaît toutes les ficelles de l’Assemblée nationale. Si Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard se sont si bien insérés dans la petite société parlementaire, c’est en grande partie grâce à lui. Traduction en langage Collard : “Je parle à tout le monde sauf à quelques abrutis décérébrés. Pendant un temps, on était les immondices de la République, mais l’autre jour dans l’hémicycle, ils ont dit qu’on était tous des républicains, ça fait plaisir.” “Il n’y a que la gauche qui l’ostracise”, confirme Urvoas. Un symbole : à la commission des lois, Collard a sa place au milieu des bancs réservés à l’UMP. Jour après jour, il tend la main à la droite, ce qu’il appelle “son petit boulot” : “Je leur dis ‘venez !’ Il suffit de treize et on fait un groupe. J’essaie de convaincre.” Pour ça, il a quotidiennement Marine Le Pen au téléphone. Or, la présidente du FN pourrait bien le rejoindre sur les bancs carmin de l’Assemblée. Si l’élection d’Hénin-Beaumont est invalidée par le Conseil constitutionnel, Marine Le Pen a en effet quelques chances de l’emporter face au socialiste Philippe Kemel. “Dans ce cas, on déplacera le centre de gravité à l’Assemblée”, conclut, placide, Louis Aliot. Catherine Boullay
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Celim Hassani
Patrice Bardet
Le sociologue Saïd Bouamama (à gauche) et le rappeur Saïdou du groupe ZEP
panique la France Mis en examen pour un ouvrage et une chanson intitulés Nique la France, Saïdou, rappeur, et Saïd Bouamama, sociologue, se réclament d’une longue tradition pamphlétaire. Ils sont soutenus par une pétition.
N
TM, Sniper, La Rumeur, Youssoupha... Les artistes hip-hop passent devant la justice depuis que le monde est rap. Dernières cibles : le chanteur Saïdou du groupe ZEP (Zone d’expression populaire) et le sociologue Saïd Bouamama se voient mis en examen pour “injure publique” et “provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence” sur une plainte de l’Agrif (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne), association située à la droite du FN. L’Agrif s’intéresse de près au “racisme anti-Blanc”, récemment piqué dans l’argumentaire d’extrême droite par Jean-François Copé. En cause, un ouvrage et une chanson du même nom, Nique la France, sortis conjointement en 2010 dans une démarche intellectuelle et artistique commune : “On vise deux publics différents, l’idée était de les faire converger. On voulait sortir un outil nouveau, mêlant recherche et art”, expliquent le rappeur et le sociologue. Pour eux, ce titre provocateur n’est pas une fin en soi. Leur collaboration reflète cette intention. Pour Saïdou le musicien, “c’était à l’époque une réponse à ‘la France, tu l’aimes ou tu la quittes’ et au ministère de l’Identité nationale créé par Nicolas Sarkozy.
Nique la France incarne une expression populaire, spontanée et politique. Qu’on le veuille ou non, elle existe et on l’entend tous les jours dans les quartiers, alors pourquoi ne pas en faire une chanson ?” Saïd Bouamama complète : “Nous voulions comprendre ce que les jeunes veulent dire à travers cette expression. Et ce qu’ils expriment, c’est le sentiment d’être méprisés et insultés. Derrière, (...) il y a une demande d’égalité.” S’inscrivant dans une longue tradition pamphlétaire d’artistes engagés contre l’État français – la “nation de porcs et de
ils ont déjà signé la pétition La Rumeur, Youssoupha, Casey, Zebda, Scred Connexion, Rachid Taha, Mathieu Kassovitz, Amazigh Kateb, Les Ogres De Barback, La Rue Kétanou, Guizmo (Tryo), Imhotep (IAM), Les Ramoneurs De Menhirs, HK & Les Saltimbanks, La Compagnie Jolie Môme, Dub Inc, Elli Medeiros, Archie Shepp, Slimane Dazi, Axiom, Oai Star, Maître Madj, Première Ligne (Skalpel, E.One et Akye), Siné, Raphaël Confiant, Judith Butler, Rokhaya Diallo, Pascal Blanchard, Éric Fassin, Laurent Levy, Pierre Tevanian, Christine Delphy, Élie Domota, Olivier Besancenot, Houria Bouteldja, Eva Joly, Noël Mamère, Sergio Coronado, Hervé Poly, Xavier Mathieu, Clémentine Autain, Garcin Malsa...
chiens” d’André Breton, “le temps que j’baise ma Marseillaise” de Léo Ferré, le “votre République, moi j’la tringle” de Renaud –, Saïdou et Saïd Bouamama ont choisi d’assumer un Devoir d’insolence, nom de leur comité de soutien. Car l’inégalité dont il est ici question concerne aussi la liberté d’expression. Le sociologue l’interroge ainsi : “Pourquoi Jean-Pierre peut-il dire qu’il n’aime pas le drapeau et pas Mohamed ?” Du côté de l’Agrif, porter plainte contre des œuvres touchant à l’identité française et chrétienne est devenu un véritable fonds de commerce. Généralement déboutée par les tribunaux, l’Alliance s’est déjà attaquée au cinéma, avec une plainte contre Amen de Costa-Gavras, aux Guignols de l’info, à la presse, en visant à cinq reprises Charlie Hebdo, ou encore à des œuvres littéraires, des associations ou des hommes politiques. Le comité de soutien Devoir d’insolence lance une pétition qu’il est possible de consulter et de signer sur le site des Inrockuptibles. En attendant de connaître la date du procès des deux Saïd, des collectifs se constituent un peu partout en France, afin d’éviter que ne s’installe “une liberté d’expression à deux vitesses”. Basile Lemaire retrouvez la pétition sur et sur
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la mort au quotidien À Gaza, le destin de la famille al-Dalou a basculé dans l’horreur au cours d’une opération de l’armée israélienne. Récit tragique d’une bavure.
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ahani al-Dalou bavardait avec ses voisins, les Mouzanna, par la fenêtre. L’opération Pilier de défense avait commencé depuis quatre jours. Les missiles israéliens donnaient l’impression de frapper n’importe où, n’importe quand. Les Gazaouis s’habituaient. À quoi bon s’inquiéter, quand rien ne vous protège ? Alors, en attendant, ils restaient chez eux. Sortir dans la rue, c’était risquer de prendre un éclat ou de se faire repérer par un drone. Leur bruit de tondeuse à gazon est peut-être ce qu’il y avait de plus pénible à supporter. Mère et grand-mère de 50 ans, Tahani prenait depuis des années des cours de récitation du Coran. Récemment, elle avait commencé à enseigner, notamment dans la mosquée voisine. C’est tout un art de réciter le Coran. Il faut placer les innombrables accents cachés de l’arabe littéraire – et absents du dialecte palestinien, comme des autres dialectes de cette langue. Tahani vivait depuis trente ans dans ce quartier calme du centre-ville de Gaza. Ranin, sa fille, préparait le déjeuner pour la famille – onze personnes. Plus taciturne que sa mère, voire triste, la jeune femme de 25 ans se remettait de son récent divorce, au mois d’août. Elle s’était mariée il y a deux ans avec son cousin. Très habituel en Palestine, sauf qu’en l’occurrence, c’était un cousin direct. Les parents de Ranin s’étaient inquiétés d’un éventuel problème de consanguinité. Ils ont consulté un médecin qui les a rassurés. Pourtant, la première fille de Ranin est morte en bas âge. Puis elle a accouché d’un garçon il y a cinq mois, handicapé, comme certains membres de la famille de son mari. Être handicapé à Gaza, c’est pire qu’ailleurs. L’accès aux soins est plus que limité, à cause du blocus que le territoire subit depuis 2007. Les Gazaouis paient pourtant une assurance comme les autres Palestiniens. Ils devraient pouvoir accéder aux soins sur le territoire de la Cisjordanie. Mais pour ça, il faut sortir du territoire par le passage d’Erez, côté israélien. Un parcours du combattant administratif. Du coup, une à deux personnes meurent par mois de maladies curables, selon des rapports mensuels de l’Organisation mondiale de la santé. L’ex-mari de Ranin a la garde de leur petit garçon de 5 mois. Elle est rentrée chez ses parents avec le risque de ne jamais pouvoir se remarier. Mais Ranin allait mieux depuis que ses parents étaient rentrés du pèlerinage, il y a vingt jours. Un événement : l’Arabie saoudite a mis en place des tirages au sort pour mieux filtrer les croyants, toujours plus nombreux, sur les lieux saints de l’islam. Ce système permet à chaque pays d’envoyer 1 000 pèlerins par million d’habitants. Tahani et Jamal al-Dalou, son mari, attendaient leur tour depuis six ans. “C’était une
véritable bénédiction”, ne cesse de dire Jamal, 50 ans comme sa femme, des yeux de petit garçon dans son visage massif. Être tiré au sort pour le pèlerinage n’est que le début de l’épreuve. Sortir de Gaza est très difficile côté israélien, à peine moins facile côté égyptien, à Rafah. Il faut que tous les papiers soient à jour, puis attendre des semaines une autorisation et ne pas rater sa sortie : le point de passage n’est ouvert que huit heures par jour pour des milliers de Palestiniens – quand il est ouvert. Évidemment, ils sont revenus croulant sous les cadeaux pour la famille, les cousins, les voisins. Pour ne pas encombrer sa grande maison, Jamal en a stocké une grande partie dans la réserve de son magasin, dans le souk el-Jawiya. Ce jour-là, il était parti dans la matinée chercher de la nourriture et le reste des cadeaux, pour occuper les enfants et les petits-enfants qui s’ennuyaient pendant le bombardement. Tahani l’avait appelé à de nombreuses reprises pour préciser les affaires à prendre. Jamal est un homme distrait. Il n’avait jamais été très bon à l’école. Il avait donc repris le magasin de son père et la petite maison de ce quartier tranquille. C’était là qu’il s’était marié avec Tahani, il y a trente ans. La décoration était simple, chez les al-Dalou. La seule fantaisie, c’étaient les poteries que fabriquait Tahani, avec, pris dans la terre cuite, des coquillages ramassés sur les plages de Gaza. Aller en ville était risqué. Jamal avait choisi de partir en voiture avec son voisin, en espérant ne pas être pris pour cible par un F16 et échapper aux éclats des bombardements. Alors quand Jamal a vu arriver son plus jeune fils, Abdallah, 18 ans, il fut presque fâché. Mais Abdallah voulait donner un coup de main. Lui aussi était destiné à reprendre le magasin de son père ; lui aussi avait des résultats moyens à l’école. Quand il n’était pas au
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Enterrement des enfants de la famille al-Dalou
magasin, il restait à la maison avec les femmes et les enfants. Il adorait jouer avec ses neveux. Jamal et Abdallah ont pris leur temps. Vers 14 h 30, les affaires étaient prêtes et il était temps de rentrer pour déjeuner. Jamal décida d’aller prier. Abdallah l’attendait en bas. Pendant la prière, le téléphone portable de Jamal sonnait sans cesse. Il n’a pas décroché. Il était occupé. Dans la maison des al-Dalou, peu avant le déjeuner, les enfants chantaient à la fenêtre. Comme beaucoup de petits Gazaouis, ils passaient leur temps dans la rue. Mais il était interdit de sortir sous les bombardements. Alors ils chantaient à tue-tête une chanson qui passe sur une chaîne jordanienne, le genre de chaîne que les enfants obligent les parents à regarder, surtout pendant la guerre où il n’y a rien à faire qu’attendre et espérer s’en tirer. C’est Sara, l’aînée des petits-enfants de Jamal, qui chantait le plus fort. À 7 ans, elle était parmi les premières de sa classe. Fahmy al-Dalou, le neveu de Jamal, les entendait de sa maison, à trois mètres de là. Lui, sa mère, sa sœur et son frère étaient déjà à table. Il y avait des courgettes fourrées au bœuf et Fahmy râlait un peu. La salade de légumes était trop épicée, comme d’habitude : sa mère adorait les plats relevés, contrairement à Fahmy, 28 ans, élevé aux Émirats et plus habitué aux fast-foods. La mère et le fils se disputaient gentiment sur ce sujet quand la majorité de la famille de Jamal al-Dalou cessa d’exister. La bombe est lancée d’un F16. C’est certainement une GBU, une bombe guidée de petit diamètre, faite pour éviter les dommages collatéraux. Guidée par GPS, elle manque
cette guerre a renforcé la haine des Gazaouis envers l’État hébreu
rarement sa cible et l’effet de dispersion des éclats est très réduit, le genre de missile utilisé pendant la précédente guerre à Gaza, en 2008-2009. Elle explose sur la maison des Dalou. Fahmy, le cousin et voisin, est projeté sur la table du salon. L’effet de souffle. Les vitres de toutes les maisons du voisinage éclatent. La poussière envahit le quartier résidentiel. La maison des Dalou s’écroule. Fahmy s’évanouit. Sa mère, sa sœur et son frère ont été protégés par un pan de mur. Ils s’enfuient, mais, dans la rue, la sœur réalise que le grand frère manque. Elle remonte, le secoue. Il reprend ses esprits et redescend, en claudiquant. Il a reçu un éclat à la tête. Dans la rue, c’est le chaos. Les voisins accourent, presque rassurés : on se dit que la foudre ne tombera pas deux fois au même endroit. Très vite, ils réalisent que les al-Dalou manquent. Ils doivent être sous le tas fumant de plaques de ciments et de barres d’acier. Les sirènes des ambulances hurlent. Les secours arrivent. Ils doivent gérer l’urgence et la foule. Fahmy part à l’hôpital. Une pelleteuse est en route pour déterrer les éventuels survivants. En sortant de la mosquée. Jamal voit Abdallah, son fils, en bas, pâle, en larmes. “Ils ont bombardé la maison.” Le père répond : “Ce n’est pas possible, nous n’avons jamais rien fait.” Il comprend maintenant les appels incessants sur son téléphone, pendant sa prière. Dans la panique et le délire, il imagine son fils, Mohammed, et même ses petitsenfants tirer des roquettes sur Israël. “Comme si j’essayais de trouver une raison, de comprendre”, ajoute Jamal. Ils retournent à toute vitesse vers leur maison. Sous les gravats, neuf personnes, Tahani, la femme de Jamal, Souheila, sa grande sœur, Mohammed, son fils policier, Samah, sa belle-fille, Ranin, sa fille, ses petitsenfants, Sara, Jamal, Youssef et Ibrahim. Jamal et Abdallah arrivent près de leur maison. Le fils ne peut s’approcher. Le père avance. Juste avant de grimper dans l’ambulance, Fahmy le voit : “Il ne pleurait pas. Il était… en état de choc. Sidéré. Pâle.” On emmène Jamal à l’hôpital al-Shifa, dans le centre-ville de Gaza. Il attendra sa famille là-bas. Les bombardements ont continué pendant quatre jours mais le quartier de Jamal a été épargné. Deux corps n’ont pas encore été retrouvés : son fils, Mohammed et sa fille, Ranin, sa fille divorcée qui était si heureuse de voir ses parents rentrer du pèlerinage. Les fouilles ont repris activement le lendemain du cessez-le-feu, le 22 novembre. Les corps ont enfin été exhumés. L’odeur, pendant quelques instants, a envahi tout le quartier. Une tente a été installée devant les ruines pour accueillir les centaines de personnes venues se recueillir. Pour l’armée israélienne, c’est la pire bavure de cette courte guerre. Jamal accueille tout le monde. Il pense souvent à son petit-fils. “Je le gâtais. Je lui rapportais tout le temps des cadeaux. Mais maintenant, je ne rapporterai plus rien à personne.” Il ne pleure toujours pas. Il considère ce bombardement comme un crime : “J’espère qu’un jour des Israéliens subiront la même chose.” Autour de lui, on l’approuve. Cette guerre a renforcé la haine des Gazaouis envers l’État hébreu. Le porte-parole des Forces de défense israéliennes, Yoav Mordechai, a indiqué à une chaîne de télé que la cible visée s’appelait Yahya Rabia, le chef de l’unité des lanceurs de roquettes du Hamas. Selon le journal Haaretz, la maison aurait été visée “par erreur.” Samuel Forey photo Anne Paq pour Les Inrockuptibles 28.11.2012 les inrockuptibles 25
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Poce/Emblema/ROPI-RÉA
V pour Vendola Arrivé en troisième position à la primaire de centre-gauche, Nichi Vendola divise dans l’Italie conservatrice de Monti. Homosexuel, il milite pour le mariage gay et la naturalisation des étrangers. Portrait d’un politicien redoutable.
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ichi (prononcez Niki) Vendola, Nicola de son vrai prénom, a tout d’un artiste. Grand, les cheveux grisonnants, il porte à son oreille un anneau et à son pouce une alliance. Le verbe, ensuite. Il cite à l’envi Foucault, Gramsci, Tolstoï, Gandhi, a étudié la philo, écrit un mémoire sur Pasolini. Mais ces apparences dissimulent un politicien redoutable, qui compte en Italie. Nichi Vendola a été l’un des cinq candidats à la primaire du centre-gauche italien, dont le premier tour s’est déroulé dimanche 26 novembre, en vue de désigner le représentant de gauche aux législatives d’avril, et où il est arrivé troisième avec 15,6 % des voix. Le président de la Région des Pouilles (le talon de la Botte) et du parti Gauche, écologie et liberté (SEL) représentait l’option la plus radicale de la coalition. On trouve dans son programme, entre autres : l’instauration d’un revenu minimum garanti (qui n’existe pas dans la péninsule), l’investissement massif dans les aides d’État, l’institution du mariage gay et l’imposition à 75 % des Italiens les plus riches.
Pour réussir, le governatore pugliese sait se servir de son parcours, et à l’occasion le transformer en formidable storytelling. Fils d’un père communiste et d’une mère au foyer fervente catholique, il s’engage au Parti communiste à 14 ans. Sur sa précocité, il s’explique ainsi : “Si cela ne tenait qu’à moi, je me serais même encarté plus jeune. Le communisme était source de grande effervescence pour moi.” À la dissolution du PCI (Parti communiste italien), il s’engagera dans la Refondation communiste, avant de créer, en 2009, son parti actuel. Homosexuel, il fait son coming-out à 20 ans, avant de devenir militant LGBT. Un choix audacieux, dans une Italie conservatrice où l’on pouvait encore entendre il y a peu l’ancien président du Conseil, Silvio Berlusconi, affirmer sur les plateaux de télévision : “Mieux
président du parti Gauche, écologie et liberté (SEL), il était l’option la plus radicale de la coalition
vaut aimer les jolies filles qu’être gay.” Les attaques se font parfois nominatives. Le 13 novembre dernier, Andrea Di Pietro, élu de droite (PdL), l’invective ainsi sur Twitter : “Nichi Vendola est aussi visqueux que la vaseline qu’il utilise.” “Je n’ai aucun remède pour soigner la vulgarité de certains”, soupire le principal intéressé. Réaliste, il semble savoir que la société italienne est profondément divisée à son sujet, aussi bien sur sa personne que sur ses méthodes. Car Nichi Vendola aime se mettre en avant, partir à la rencontre des électeurs, convaincre en visant les cœurs plus que les raisons. Ainsi, un dimanche d’octobre, sur une place de marché dans le quartier de San Salvario à Turin, Vendola n’hésitera pas, entre deux allusions à sa foi, à exprimer ses désirs de mariage et d’enfants. Cette façon récurrente de faire de sa personne l’étendard de ses revendications a amené certains à le taxer de populisme. Une critique qu’il repousse à grands cris. “Il faut être cohérent ! On me dit d’un côté que j’utilise des manières anciennes et un vocabulaire trop soutenu et de l’autre que je suis populiste ! Vous avez déjà vu des populistes qui demandent la naturalisation pour les étrangers ?” S’il revendique sa singularité, Nichi Vendola refuse pourtant de revêtir l’habit du bouffon ou de l’amuseur politique. “Pendant mes treize ans à la Chambre des députés, beaucoup ont voulu me transformer en épisode de folklore. Pourtant, à force de travail et de persévérance, j’ai gagné la confiance et le respect de mes pairs”, assènet-il. Il est vrai que son travail, notamment au sein de la Commission parlementaire antimafia dont il fut vice-président à partir de 1996, lui a accordé une réputation d’homme intègre. C’était sans compter les accusations d’abus de pouvoir portées contre lui en avril dernier, dans le cadre d’une enquête générale sur la santé dans les Pouilles. Le président de la Région était accusé d’avoir profité de sa position pour nommer Paolo Saredelli, chirurgien thoracique, chef de service à l’hôpital de Bari, chef-lieu des Pouilles. Finalement blanchi le 31 octobre, Vendola a été profondément marqué par cette chronique judiciaire : “Ce fut une expérience dramatique”, livre-t-il. Sur les chaînes de télévision italiennes, beaucoup ont pu voir pleurer ce grand gaillard de 55 ans. Il reconnaît “une sensibilité certaine, peutêtre issue de la littérature et de la culture féministe”, mais, se justifie-t-il, “parfois la personne prend le pas sur le personnage, et c’est tant mieux”. Camille Vigogne
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la chienne de Fiona Apple
retour de hype
“donc, en fait, y a des gens qui préfèrent les mariages tristes aux mariages gay”
retour de bâton
hype
buzz
pré-buzz
Wayne’s World 3
“j’ai croisé Scarlett Johansson au Franprix. Rayon jambon”
les pignons
Larry Clark
le vote blanc
“un dîner presque pas fait”
“Bizarre Sandwich Triangle”
Loris Gréaud
“mes nuits sur MSN étaient plus belles que vos jours”
Anderson Cooper le nouvel album des Yeah Yeah Yeahs
“Un dîner presque pas fait” Un concept d’émission qui n’est pas à faire. Wayne’s World 3 Mike Myers aurait terminé le script. Yeah Yeah Yeahs Nouvel album prévu au printemps. Le vote blanc sera désormais comptabilisé séparément du vote nul. MSN Microsoft a annoncé la fin de sa messagerie instantanée
Mick Jagger François Hollande
au profit de Skype. Plus que quelques jours pour y envoyer des wizz les larmes aux yeux. La chienne de Fiona Apple a des problèmes de santé, raison pour laquelle la chanteuse a décidé d’annuler sa tournée :( Mick Jagger a déclaré se reconnaître un peu à ses débuts dans le boys band anglais One Direction. D. L.
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Fa
14 % SAV
pour la réponse à l’appel (avec tout de même un délai d’attente de 4 heures)
77 % Pascal le grand frère
pour le recours de la dernière chance, et remettre sur le droit chemin des jeunes gens en manque de repères
9 % Bouddha
pour ceux qui, comme moi, se sont trompés et ont préalablement lu “méditation”
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rendez-vous en terrain connu Dans sa nouvelle émission, La Parenthèse inattendue, Frédo Lopez emmène des people à la campagne pour les transformer en vraies gens. Sortez les petits mouchoirs.
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comme du bon pain Il était une fois un animateur sympa qui s’était donné pour mission de créer des moments d’humanité dans ce monde sans pitié qu’est le show business. Ainsi, après avoir emmené des vedettes à la rencontre de peuples lointains et menacés par la société spectaculaire marchande dans Rendez-vous en terre inconnue, après avoir fait couler des larmes de stars en utilisant les confidences de leurs proches dans Panique dans l’oreillette, il eut une autre idée : réunir des personnalités d’univers différents lors d’un week-endsensible à la campagne. Odeur d’herbe coupée et ambiance “confidences en gilet 100 % cachemire”, dans La Parenthèse inattendue, on pleure le menton serré, on rit la bouche ouverte et on mange de bon cœur. Le tout grâce à un hôte qui incarne l’expression “bon comme du bon pain”, grosses miches comprises (à ses pieds, dans la corbeille).
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bleu sur rouge, rien ne bouge Ici nous surprenons Sheila, Bruno Salomone, Baptiste Giabiconi et Frédo lors d’un petit casse-croûte improvisé sur une vieille cagette défoncée. Au menu : plateau de fromages, bien sûr. L’encas idéal de tous les “bons vivants” autoproclamés, ceux qui n’hésitent jamais à dire des choses comme : “Si t’aimes pas le bleu, t’aimes pas la vie” ou encore “Le bon vin, c’est bon comme une belle femme, allez, mais si, reprendsen un petit coup, qu’est-ce que t’as ?”. C’est “à la bonne franquette”, c’est champêtre, c’est “authentique”, les chaises sont dépareillées et il y a même des tonneaux qui traînent çà et là. Pour résumer : au décor ultracliché qui n’existe qu’à la télé, s’allient une lumière intimiste et chaleureuse type “coin du feu” et un montage qui permet de slalomer entre les confidences des uns et des autres de manière un tout petit peu artificielle, tandis que Frédo, magistral et compatissant, évoque le passé, les rêves, les frustrations, les blessures, les bonheurs de ces stars qui ne sont finalement que des êtres humains. Poil aux mains.
les belles personnes Ici, le spectateur n’est donc pas face à des stars mais face à de belles personnes, si bien qu’on s’attend à tout moment à voir débouler l’ostréiculteur des Petits Mouchoirs. Le passage du statut de vedette à celui d’humain se fait d’ailleurs à l’arrivée quand les invités, un à un, doivent emprunter une barque pour se rendre dans la maison. La symbolique de la traversée du fleuve rappellera aux esprits chagrins le Styx, célèbre cours d’eau séparant le monde terrestre des Enfers. Ils n’auront pas forcément tort, car c’est sur ce petit canal que, lors du deuxième épisode, Frédo interrompit une séance de pêche en demandant à Shy’m, Michèle Bernier et Alain Bernard comment s’était passée leur “première fois” (n’hésitant pas en préliminaire à utiliser la métaphore “premier bisou”). Un grand moment de malaise largement égalé dans la séquence “grenier” où chacun raconte ses souvenirs d’enfance et où la caméra n’hésite pas à s’attarder sur les larmes d’un invité à qui l’on projette par exemple des images d’un parent décédé. Des instants prétendument “suspendus” qui nous paraissent à nous très très lourds comme une indigestion de mont-d’or bien dégoulinant. Fin de la parenthèse. Diane Lisarelli
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c’est-à-dire
révolutions douces Face aux puissances hideuses qui mènent le monde, on peut parfois céder au pessimisme. Heureusement, des ouvrages comme Un million de révolutions tranquilles (Éditions Les liens qui libèrent) donnent de salutaires coups de fouet au moral. Recensant des centaines d’initiatives citoyennes à travers le monde, son auteure, la journaliste Bénédicte Manier, dresse une formidable cartographie prouvant qu’un “autre monde” est possible. Au Rajasthan, des villageois confrontés à la sécheresse ont reconstruit leur système ancestral de puits, ce qui a eu pour effet de reféconder leurs terres et de transfigurer l’économie de leur région. En Argentine, des ouvriers au chômage se sont réapproprié leur outil de travail en coopérative. À Detroit, on crée des potagers urbains pour nourrir les populations abandonnées par la crise de l’automobile. En Inde, on utilise des véhicules solaires pour les transports urbains. On pourrait continuer sur le biogaz au Népal, l’éolien citoyen en Europe, les groupes de prêts autofinancés en Espagne, les écovillages américains… Couvrant tous les secteurs de la vie sociale (travail, santé, habitat, environnement…), ces actions ont pour point commun d’aller à l’encontre du système libéral, d’être menées par des gens ordinaires à l’écart des circuits institutionnels, au service de l’intérêt général, sans violence. Quand il n’y a rien à attendre de la haute finance, peu à espérer des gouvernements, quand les indispensables luttes de la gauche de la gauche et du mouvement social sont longues et incertaines, il reste la possibilité d’agir “ici et maintenant”. Le livre s’ouvre sur deux exergues : “Il n’y a pas d’alternative” (Margaret Thatcher) et “Il y a des milliers d’alternatives” (Susan George). En le refermant, on sait laquelle des deux est dans le vrai.
“il faut modifier le rapport de force” L’Europe de la contestation est en marche. Alors que syndicats, associations, instituts ou chercheurs s’organisent et préparent un alter-sommet, rencontre avec Susan George, figure de proue du mouvement. par Serge Kaganski
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Laurindo Feliciano
“je suis une Européenne fervente, mais pour une autre Europe, avec une autre politique”
résidente d’honneur d’Attac, sympathisante de Roosevelt 2012, figure de l’altermondialisme, Susan George publie “Cette fois, en finir avec la démocratie” (Seuil), fable imaginant un groupe d’experts travaillant aux moyens de sauvegarder le capitalisme et la position de domination des puissants actuels. Si ses personnages sont fictifs, les faits et statistiques sont réels et dessinent le paysage du néolibéralisme actuel et de l’élite économique et financière qui a confisqué la démocratie au profit de ses seuls intérêts. Nous avons rencontré Susan George alors qu’elle participe à la préparation d’un altersommet dont l’objectif est de fédérer la contestation au niveau européen.
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Parmi les outils de la classe dominante pour préserver son pouvoir, vous évoquez la manipulation des sujets d’actualité et du langage… Susan George – Oui, ce qu’on appelle en anglais le “framing”, c’est-à-dire la façon biaisée de présenter les problèmes du monde. Si vous parvenez à faire en sorte que les gens se posent de mauvaises questions, vous n’avez plus à vous préoccuper des réponses. Le groupe de travail fictif de mon livre essaie d’enseigner aux maîtres du monde comment tromper le reste de l’humanité. Si j’étais conseillère de ces gens-là, c’est ce que je ferais : inventer de fausses problématiques pour détourner l’attention de l’essentiel. Vous écrivez que 50 multinationales contrôlent l’économie et la finance…
Je cite le rapport d’un groupe de mathématiciens zurichois (Stefania Vitali, James B. Glattfelder et Stefano Battiston – ndlr) qui sont spécialistes des théories de la complexité. Ils sont partis de l’étude de 43 000 sociétés et de leurs liens capitalistiques ou autres : qui participe à quoi, qui est attaché à qui, qui siège à tel CA, qui est filiale de quoi. C’est comme une carte du ciel, avec les planètes, les constellations et galaxies. En remontant et recoupant ces constellations capitalistiques, ils sont arrivés à environ 700 entreprises qui possèdent 80 % du PNB mondial. Puis 147 qui contrôlent 40 % de ces 80 %. Puis, en annexe, ils citent la liste des 50 entreprises les plus intégrées du monde. Ce qui signifie que 50 pdg contrôlent peu ou prou l’économie et la finance mondiales ? Oui, et les Zurichois appellent cela le modèle fil du rasoir. Quand l’économie va bien, ce système a l’air robuste. Mais si ça commence à flancher, les dominos peuvent s’effondrer les uns sur les autres. Parmi ces 50 firmes transnationales qui forment une sorte de super-entité, 48 sont des sociétés financières. Ce système est très fragile. Après la faillite de Lehman Brothers, on a découvert que des dizaines de milliers de firmes étaient créditrices ou débitrices de Lehman. Il y a un risque systémique élevé et c’est terrifiant. Comment voyez-vous les G20 ou autres sommets où les chefs d’État promettent de réguler la finance, de mettre fin aux paradis fiscaux, puis… rien du tout ? Je crois que les réunions des puissants sont des moments de partage et de renforcement de la doctrine libérale. Et ils n’admettent pas que cette politique risque de nous mener tous dans un précipice. Prenons la métaphore de la voiture. Même quand on aime rouler vite, si un obstacle se présente, on change de direction ou on freine. Pourquoi les puissants continuent-ils de foncer tout d roit ? Parce que le mur n’est encore que métaphorique. En 2008, ils ont eu un avant-goût du mur, mais ils ont réussi ensuite à faire régler la facture par les peuples. Les puissants se sont merveilleusement tirés d’affaire 28.11.2012 les inrockuptibles 33
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Astrid di Crollalanza/Seuil
“les banques n’ont pas contribué d’un centime au sauvetage général de l’économie”
de ce choc : les paradis fiscaux fonctionnent de plus belle, 25 % de produits financiers dérivés supplémentaires prolifèrent sur le marché, les riches n’ont jamais été aussi riches, les banques n’ont pas contribué d’un centime au sauvetage général de l’économie, les multinationales échappent de plus en plus aux impôts, etc. Dans ce marasme libéral, ne voit-on pas parfois des points positifs, comme quand Obama et Merkel ont obtenu des listes de fraudeurs fiscaux en Suisse et au Liechtenstein ? Ils ne les ont pas demandées, ce sont des employés mécontents de HSBC qui ont divulgué ces listes. C’est positif, mais c’est une goutte d’eau. Et ni Obama ni Merkel n’ont demandé à la Suisse ou au Liechtenstein de modifier en profondeur leurs règles fiscales. Ne parlons même pas des îles Vierges, des îles Caïmans, etc. où nos banques ont des filiales. Nous voyons aussi s’amorcer des débats remettant en cause les politiques d’austérité… Peut-être, mais l’austérité demeure la “ligne du parti”. C’est cette ligne que Merkel défend quand elle rend visite aux pays du Sud. Ces politiques d’austérité sont choisies en toute conscience selon une sorte de consensus qui établit que les dirigeants gouvernent pour les intérêts des marchés financiers et des transnationales. C’est flagrant en Europe. Et en France, le mot “compétitivité” résume cette politique. Ne croyez-vous pas que certains dirigeants comprennent que l’austérité va créer de la récession plutôt que de la croissance ? Quand François Hollande peut dire tranquillement qu’il faut un choc de compétitivité, que le problème est le coût du travail et pas le coût du capital, c’est que cette politique est décidée en toute conscience. Pensez-vous que Hollande applique
cette politique par conviction ou parce qu’il n’a pas le choix, Merkel et le consensus des dirigeants européens étant trop forts ? Je suis une Européenne fervente, mais pour une autre Europe, avec une autre politique. J’étais ces derniers jours à Florence pour travailler sur ce que nous appelons l’alter-sommet : la réunion de nombreux syndicats, mouvements sociaux, instituts, chercheurs… L’idée est de créer une mobilisation transfrontalière en Europe. Nous prévoyons une journée d’action le 23 mars avec des manifs à Bruxelles et dans d’autres villes. Le principe selon lequel les Européens doivent s’unir et protester ensemble se concrétise. La semaine dernière a eu lieu une grève au niveau européen, ce qui est une première. Les choses avancent. La réélection d’Obama est-elle pour vous source d’espoir ? Oui, d’autant que le second mandat le laisse plus libre. Et comme cette fois, on n’attend rien de lui, peut-être qu’il nous surprendra en bien ! Quelles sont les priorités les plus urgentes pour remettre le système au service de l’intérêt général ? Mettre les banques sous tutelle. Faire du crédit un bien social. Séparer banques de dépôt et banques d’affaires. Introduire non seulement l’État mais aussi la société civile dans les conseils d’administration des banques. Interdire les quatre cinquièmes des produits financiers dérivés. Introduire une taxe sur les transactions financières. Redéfinir le rôle de la Banque centrale européenne qui devrait prêter à faible taux directement aux États. Et puis l’écologie est capitale, non seulement sur le plan climatique mais parce que c’est un vivier d’emplois. Comment faire passer vos idées vers le pouvoir politique ? La plupart des associations, mouvements, idées sont réunies dans l’alter-sommet. On est en train de
se fédérer au niveau européen. Avant de faire remonter nos idées vers le pouvoir, il faut modifier le rapport de force. Les politiques ne sont pas obligés de nous écouter, ils sont sur l’agenda de Lisbonne1… Pour nous faire entendre, nous devons être unis. Si le SPD gagnait les élections allemandes, on aurait un couple franco-allemand censé être de gauche. Cela pourrait-il changer la politique européenne ? Ils seraient certes plus proches de nous que Merkozy et les discussions seraient plus civilisées. Mais les sociauxdémocrates sont-ils prêts à prendre les décisions que nous proposons ? Pourtant, nous ne sommes pas des radicaux, nos idées sont partagées par beaucoup de gens, y compris des économistes sérieux. La difficulté à modifier les politiques actuelles, la déception causée par des leaders ayant fait campagne à gauche et promis de changer les choses (Obama, Hollande…) sont-elles parfois décourageantes ? Il faut leur faire comprendre que la majorité de leurs peuples n’acceptent plus leurs politiques, ce qui semble déjà être le cas en Grèce ou en Espagne. Notre combat va prendre du temps et on n’est pas sûrs de le gagner, mais il faut le mener. On me demande souvent si je suis optimiste ou pessimiste : ni l’un ni l’autre, je ne connais pas l’avenir, je sais que nous avons des problèmes considérables à résoudre mais j’ai toujours un espoir. À mon âge, je vais mettre toute mon énergie dans ce que je crois être l’une des possibilités de solution, avec tous nos camarades du mouvement social et de l’alter-sommet. 1. L’agenda de Lisbonne est l’axe majeur des orientations libérales de la politique économique européenne. “Cette fois, en finir avec la démocratie.” Le rapport Lugano II (Seuil), 194 pages, 17 €
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où est le cool ? par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri
dans ces motifs géométriques Avec ses rayures rouges, bleues, fuchsia et ce toucher angora, cet ample pull imaginé pour Kenzo par les prolixes Carol Lim et Humberto Leon saura raviver les plus mornes journées hivernales. www.huntingandcollecting.com
www.stiffonline.com
Pal Allan
dans le design de cette pipe Serait-ce le grand retour de la pipe ? Possible… Surtout avec ce modèle hautement désirable, créé en Suède par Stiff, au design à la fois beau et responsable. La partie en plastique est en effet fabriquée, dans la mesure du possible, à partir de vieilles pipes renvoyées, à la demande de la maison suédoise, par leurs utilisateurs. 36 les inrockuptibles 28.11.2012
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à l’expo Affiche-Action ! Qui, avec plus de 150 documents, retrace l’histoire de l’affiche, de la diffusion et de la production de l’écrit urbain. On y croise Olympe de Gouges, guillotinée en 1793 pour avoir rendu ses idées publiques, les révoltés de Mai 68, ou des travaux plus récents tels ceux de Vincent Perrottet (photo), qui interrogent le statut de l’écrit politique à l’heure des tags et d’internet. jusqu’au 24 février à la BDIC, Hôtel des Invalides, Paris VIIe, www.expositionafficheaction.fr
dans ce bracelet Le Gramme
Vincent Perrottet, 2009/BDIC
Design minimaliste et épuré pour ce bracelet conçu par les designers Adrien Messié et Erwan Le Louër, qui lancent leur première ligne de bijoux sous le nom de Le Gramme. Chaque bracelet, en argent recyclé, est nommé en fonction de son grammage en argent, de 7 à 41 grammes. www.legramme.com
à Marseille, dans cette chambre
Pal Allan
Chaque année, l’hôtel Au Vieux Panier met en compétition de jeunes designers qui décorent certaines de ses chambres pour une durée d’un an. Celle-ci, baroque et psyché, a été conçue par le duo Mass Confusion et baptisée Purgatory Palace. Allez-y passer une nuit avant le 31 décembre, trip assuré. www.auvieuxpanier.com, www.mconfusion.com 28.11.2012 les inrockuptibles 37
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entre les mailles de ce filet Diaphane, longiligne, cette rouquine parviendrait presque à coolifier le bon vieux filet de courses des années 80, qui avait tenté un retour timide à la caisse des magasins bio. Pour Carven, le très en jambe Guillaume Henry en propose une version plus chic aux anses doublées de cuir et déclinée en quatre couleurs estivales. www.carven.fr
dans ce smoking Acne Pour le poids lourd de la vente en ligne Mr Porter, la marque suédoise Acne chiquise le temps d’une collection capsule son vocabulaire. Le résultat : quatorze pièces (blazers noirs ou pourpres en velours, chemise, cravate…) qui raviront les indécis du nouvel an ou les dandys nostalgiques de l’époque édouardienne. www.mrporter.com
dans ce sac à dos On aime le fond et la forme de ce sac à dos aux belles finitions en cuir, inspiré par ceux que portaient les écoliers américains des années 50. Il a été dessiné pour The Goodhood Store par Yuki Matsuda, designer japonais installé en Californie, qui explore depuis vingt ans à travers ses diverses marques (Yuketen, Meg Company) les archives de l’americana et en particulier de la Nouvelle-Angleterre. goodhoodstore.com
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culture en crise
Le gouvernement socialiste de 1981 prônait une politique culturelle ambitieuse et s’en était donné les moyens. Que reste-t-il de ces choix forts en 2012 ? Les professionnels sont inquiets. La ministre Aurélie Filippetti se veut rassurante. dossier coordonné par Pierre Siankowski, avec Fabienne Arvers, Romain Blondeau, Claire Moulène, Élisabeth Philippe, Johanna Seban, Patrick Sourd
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et maintenant ?
Présentée en ouverture de la Biennale de Venise de 2009, la performance Twenty Two Less Two, de Michelangelo Pistoletto, a été rejouée au 104, en 2010
Alessandro Bianchi/Reuters
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e monde de la culture hésite. Entre montrer les dents, ou les serrer très fort. Lors de la campagne présidentielle, le candidat Hollande n’avait pas promis grand-chose sur la culture, mais au moins de “sanctuariser” son budget. La réalité est tout autre. En 2013, le budget de la culture baissera de 2,3 %, soit un total de 7,4 milliards d’euros. Jamais, depuis trente ans, il n’avait diminué à ce point. La crise, bien entendu, explique ce revirement. La conception de la culture du nouveau Président aussi. Pour lui, la politique culturelle n’est pas une série de grands travaux. Les structures, les réseaux sont là. Reste que ce fameux “monde de la culture”, qui a largement soutenu la gauche face à Sarkozy, est déçu. Inquiet surtout. C’est ce qui transparaît dans notre enquête auprès des professionnels du cinéma, de la musique, du livre, du spectacle vivant ou de l’art. Les budgets de crise annoncent des heures douloureuses. Les subventions diminuent, voire disparaissent. L’intermittence est à renégocier. La question du numérique, au centre de tout, est entre les mains de la commission Culture Acte 2, menée par Pierre Lescure, et qui livrera le résultat de ses travaux début 2013. Dans le domaine de la musique ou du cinéma, l’attente est parfois interminable. Faut-il garder l’Hadopi ? Nous avons rencontré la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, et de nombreux artistes. 28.11.2012 les inrockuptibles 41
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Bertrand Bonello réalisateur
“La baisse du budget de la Culture ne m’affole pas dans le contexte de crise. La vraie question est : que fait-on de l’argent disponible ? Ce que j’attends d’un ministre de gauche, c’est un positionnement fort sur ce qu’est la culture, et comment on l’utilise. Il ne faut pas avoir peur de prendre des mesures très impopulaires pour affirmer des choses. Dans le détail, Aurélie Filippetti s’est rétractée totalement sur l’Hadopi, ce que je trouve assez nul car on attend d’un ministre de gauche qu’il ait un rapport au contemporain, à une vraie réalité, qu’il sorte du consensuel. Pourquoi ne pas plutôt s’attaquer aux chantiers les plus urgents : repenser la chronologie des médias, réformer la télévision d’État ou limiter le nombre de copies pour un film ? Je trouve scandaleux qu’un film sorte sur 1 200 copies, une telle occupation de l’espace est antidémocratique. Réduire le budget du CNC est aussi une absurdité : c’est un organisme qui marche, mais on trouve pourtant le moyen de lui nuire.” recueilli par R. B.
cinéma Entre une importante coupe budgétaire infligée au CNC et une polémique sans fin avec Bruxelles, le gouvernement socialiste envoie des signaux assez alarmants au cinéma français.
Les relations entre le pouvoir socialiste et le cinéma français ne pouvaient pas plus mal commencer. Cinq mois seulement après sa prise de fonctions, le gouvernement annonçait une mise à contribution “exceptionnelle” du Centre national du cinéma et de l’image animée : 150 millions d’euros prélevés sur le budget 2013 de l’organisme public, en échange de quoi la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, promettait un déplafonnement des taxes qui constituent la majorité de ses ressources. Si le CNC a consenti à l’effort de solidarité en période de crise, son président Éric Garandeau assure que le système d’aide à la production ne devrait pas être affecté. Il précise néanmoins que cette perte “aura un impact très fort sur le plan de numérisation des œuvres du patrimoine” engagé depuis 2011.
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“on attend d’un ministre de gauche qu’il ait un rapport au contemporain, qu’il sorte du consensuel”
Mais d’autres chantiers plus urgents occupent l’ensemble des professionnels. Ils sont engagés dans un bras de fer avec la Commission européenne, qui bloque depuis des mois une réforme de la taxe sur les opérateurs télécom reversée au CNC, visant à mettre un terme aux contournements qui ont pu être réalisés par certains fournisseurs d’accès. “Les prises de décision sont de plus en plus lentes face à Bruxelles, et le gouvernement n’envoie pas vraiment de signes politiques très forts ni très encourageants pour défendre notre dispositif unique de financement du cinéma”, explique Michel Hazanavicius, l’auteur de The Artist et président de l’ARP (Société civile des auteursréalisateurs-producteurs) qui s’est investi dans la fronde contre la Commission européenne. “Le CNC ne coûte d’argent ni à l’État ni au contribuable, il assure une industrie qui embauche des milliers de personnes, et pourtant il ne semble pas prioritaire”, continue-t-il. En attendant le dénouement de cette affaire, Aurélie Filippetti aura aussi à gérer l’épineux cas Hadopi, relégué à une mission (plutôt bien accueillie par
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Miossec auteur-compositeur
“il n’y a plus d’érudits dans le monde politique”
Léa Crespi
“Je pense que tout ça dépasse la gauche. Je pense que tout ça est dû au fait que les hommes politiques ne sont plus aussi cultivés qu’avant. Il y a au sein du monde politique un manque d’intérêt pour la culture. On ne gagne plus une élection avec la culture, ce n’est même plus la dernière roue du carrosse, il n’y a même plus de roue du tout. C’est bizarre de parler de Pompidou, mais c’était un érudit, il n’y a plus d’érudits dans le monde politique. L’exception, c’est Aurélie Filippetti, elle est cultivée, elle vient des classes populaires. Ce qui est terrible dans le cas de la culture et de ces baisses de budget, c’est qu’on se dit que la gauche peut faire passer des trucs que la droite n’envisagerait même pas. C’est Donnedieu de Vabre, ex-ministre de la Culture de droite, qui a dit l’autre jour que s’il avait essayé de faire passer ce budget, il se serait fait ‘exploser la tête’. Après, pour ma part, je suis habitué à évoluer dans un monde capitaliste pur et dur. La musique, ça tient plus du western et de la ruée vers l’or que de la subvention. Je viens de finir une grande tournée française, quatre-vingts dates, j’ai joué dans beaucoup de Smac (scènes de musiques actuelles – ndlr), et c’est là qu’on voit que le ministère de la Culture, ça n’est pas tout. Les collectivités jouent un grand rôle. L’exemple, c’est Nantes : en termes de culture, c’est ce que la gauche peut faire de mieux. À tel point qu’on se demande si l’actuel Premier ministre est bien l’ancien maire de Nantes.” recueilli par P. Si.
les professionnels) dirigée par Pierre Lescure. Elle devrait rendre ses conclusions d’ici le premier semestre 2013 et, si l’on en juge le rétropédalage de la ministre de tutelle sur la question – pendant la campagne présidentielle, elle était contre –, la fameuse loi n’est pas près d’être enterrée. R. B.
musique Avant même la réduction du budget accordé à la culture, la filière musicale était déjà la cinquième roue du carrosse. Et maintenant ?
En septembre, dans un entretien au Monde, Aurélie Filippetti annonçait l’abandon du projet CNM – un Centre national de la musique imaginé sous Nicolas Sarkozy comme un équivalent du CNC pour la musique, et soutenu par tous les acteurs de la filière. La nouvelle faisait l’effet d’une bombe lancée dans une industrie qui traverse la plus grosse crise de son histoire. Il y a quelques semaines, le Snep (Syndicat national de l’édition phonographique) annonçait une baisse de 7,8 % du marché de la musique enregistrée en 2012.
Un mois plus tard, au Mama, le rendez-vous des professionnels de la musique, la ministre rassurait – un peu – les inquiets. Rappelant que “la musique est la première pratique culturelle des Français”, elle annonçait la création d’une mission spécifiquement dédiée à la musique et assurait que le projet du CNM n’était pas abandonné. Du côté des professionnels, on applaudissait alors l’annonce du renouvellement du crédit d’impôt accordé aux labels et on saluait un discours ouvert, qui prend en considération les TPE. “On sent que la nouvelle équipe du cabinet s’est engagée dans la réflexion, explique Aurélie Hannedouche, déléguée générale du Syndicat des musiques actuelles. Mais aucune mesure financière n’a été annoncée.” À ce titre, la déléguée rappelle que l’État va soutenir la construction de la salle de la Philharmonie de Paris à hauteur de 387 millions d’euros, quand le CNM prévoyait un budget de 95 millions d’euros, directement prélevés, en outre, sur les fournisseurs d’accès à internet. S’agissant des musiques actuelles, plusieurs problèmes se poseront dans les prochains mois. 28.11.2012 les inrockuptibles 43
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“d’un gouvernement de gauche, on attendait, sinon des sous, au moins un discours fort” Didier Veillault, directeur de la Coopérative de Mai
Les emplois d’avenir, d’une part, sont réservés au 16-25 ans pas ou peu qualifiés. Avec la multiplication des masters en médiation culturelle, les postulants dans cette filière sont aujourd’hui âgés et très diplômés. Du côté des Smac, salles de concerts labellisées “scènes de musiques actuelles”, on regarde aussi l’avenir avec inquiétude. Le plan signé en août 2010 prévoyait la labellisation d’une Smac par département : celle-ci devait être financée par le ministère à hauteur minimum de 75 000 euros par an. Certaines, hélas, n’ont pas atteint ce financement plancher, les Drac dont elles dépendent favorisant rarement les musiques actuelles quand elles doivent faire des arbitrages entre les structures de leur région. Toutes les salles, enfin, pourraient voir la TVA sur la billetterie passer de 2,10 à 5,5 % d’ici janvier. “Une perte de 5 000 euros par an par acteur”, conclut Aurélie Hannedouche. Pour Didier Veillault, directeur de la Coopérative de Mai à Clermont-Ferrand, la déception est symbolique. “Les musiques actuelles ont toujours été la cinquième roue du carrosse. En treize ans à la Coopérative de Mai, on n’a pas été augmenté une fois. D’un gouvernement de gauche, on attendait, sinon des sous, au moins un discours fort. On fait découvrir de jeunes artistes, on se bat avec trois bouts de ficelle. Pourtant, je n’ai jamais vu un ministre dans la salle.” Le prochain rendez-vous est fixé en mars, avec les conclusions de la mission Lescure sur la création et la culture sur internet. Un rapport qui coïncidera avec la période d’élaboration des budgets ministériels. J. S.
arts de la scène Pour résumer l’état d’esprit des artistes et responsables culturels du spectacle vivant, un seul mot : inquiétude.
Si le candidat François Hollande s’était engagé à soutenir le spectacle vivant, le président Hollande, après quelques décisions en début de mandat (le dégel d’une partie du budget du spectacle vivant et des arts plastiques pour la création, mais hors établissements publics, théâtres nationaux et le programme 224 de la Transmission des savoirs et de la démocratisation culturelle), ne diffère guère, dans ses choix, de ses prédécesseurs. Ainsi la demande, jusqu’ici refusée, de la suppression des mandats de révision, une invention sarkozyste qui consiste à prendre de l’argent dans une Région pour la distribuer dans une autre, selon des critères opaques qui ne permettent pas de savoir qui en a bénéficié, et qui a eu pour résultat la perte en Île-de-France de 1,35 million d’euros et en Région Paca de 600 000 euros. Inquiétude surtout, nous dit le président du Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles), François Le Pillouer, de voir deux symboles attaqués : “La fermeture du Théâtre Paris-
Villette, pour des problèmes de gestion et de fréquentation attribués au directeur Patrick Gufflet, alors même que celui-ci se propose de partir. Si la Ville de Paris le fait, toutes les villes pourront s’autoriser à le faire. C’est aussi une histoire d’exemplarité. Et si l’État baisse de manière forte, comme cela se passe actuellement, le budget de la culture en 2013 et refuse de déclarer ce ministère prioritaire, alors les collectivités territoriales pourront en faire autant.” La demande du Syndeac, en juillet, d’être reçu par le Premier ministre étant restée lettre morte, il prépare et fait tourner “un texte qui est une apostrophe à François Hollande pour qu’il nous reçoive en urgence et, si tel n’était pas le cas, nous prendrions nos responsabilités”. Dernier dossier en souffrance, et depuis dix ans, le statut de l’intermittence, qui sera bientôt rediscuté. Patrick Bloch, député PS, est chargé d’une mission parlementaire sur la question de l’emploi artistique, du statut des intermittents et de l’indemnisation du chômage. Pour François Le Pillouer : “Il hésite : faut-il attaquer en mars ou en septembre, après les festivals ? Mais comme ils auront ruiné les intermittents et le théâtre, le problème n’est plus une question de date”. Juste une question de volonté politique. F. A.
art contemporain Les musées attirent le public en masse mais les coupes drastiques des budgets ouvrent dangereusement la porte au mécénat.
En progression constante depuis le début des années 2000, atteignant en 2011 le chiffre record de 27 millions de visiteurs, la fréquentation des musées français est au beau fixe. Et la crise n’y changera pas grand-chose : au mieux la quasi-stagnation, au pire la diminution, du budget de la mission culture en général et du soutien à la création, à la production et à la diffusion des arts plastiques en particulier. Parent pauvre historique, les arts plastiques comptaient déjà un budget six fois moins important que celui du spectacle vivant, et subiront dans les trois prochaines années une coupe d’environ 6,6 millions d’euros, soit 10 % de leur budget actuel. “Les musées et centres d’art disposent de moins d’argent qu’il y a trente ans”, martèle Yves Aupetitallot, le très militant directeur du Magasin de Grenoble, qui vient de publier avec d’autres représentants d’institutions de province (Consortium de Dijon, IAC de Villeurbanne, CAPC de Bordeaux…), une tribune intitulée “Se réinventer” pointant du doigt les déséquilibres Paris-Province. Et soulignant notamment le traitement (de faveur) réservé au palais de Tokyo, qui tire pourtant le diable par la queue pour remplir dignement ses 20 000 mètres carrés d’exposition et qui tente une équation impossible avec des financements publics
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Mathieu Mercier plasticien
“que coûtent vingt minutes de télévision par rapport au prix d’une grande expo ?”
certes confortés et des soutiens privés nombreux mais toujours insuffisants. Autre maillon faible : les coupes drastiques des budgets d’acquisition d’œuvres pour les collections publiques, qui seront divisés par deux (passant de 20 millions en 2009 à 8,5 millions). Pour les musées nationaux, cela signifie l’impossibilité de concurrencer les grandes collections internationales et surtout une nécessaire échappatoire vers le mécénat privé au risque de certaines dérives. Favorisé depuis 2003 par la loi Aillagon, le mécénat fait encore ses premiers pas dans l’Hexagone (sauf dans les très grandes institutions comme le Louvre ou le musée du Quai Branly) quand il est monnaie courante dans les pays anglo-saxons. Le “fund raising”, la recherche de financements privés, devient le sport le plus pratiqué par les gens de l’art. Au point qu’on évalue aujourd’hui les grands directeurs d’institution à l’aune de leurs capacités à faire rentrer de l’argent privé et à devenir ainsi “bankable” (lire aussi page 109). “La vision entrepreneuriale qui a prévalu au changement
“Il existe aujourd’hui non pas un monde de l’art mais dix mondes de l’art et par conséquent, autant de marchés. Le domaine des arts plastiques a beaucoup évolué en quinze ans. Pour l’institution, le problème n’est pas tant la diminution des budgets d’acquisition que le fait qu’elle ne peut pas suivre l’explosion du marché de l’art. Je fais partie depuis quelque temps de la commission d’achat du Frac Basse-Normandie ; parfois nous sommes tentés par des œuvres qui reviendraient à débourser la totalité du budget de fonctionnement du lieu ! Pourtant, l’an prochain, nous fêterons les 30 ans des Frac et au regard des collections, on ne peut que se féliciter de leur grande qualité. Pour les artistes, intégrer ces collections garantit la bonne circulation de leurs œuvres. Lorsqu’on parle du budget de la Culture, nous devrions mettre ces chiffres en regard du coût d’entreprises comparables, le budget de l’audiovisuel par exemple. Que coûtent vingt minutes de télévision par rapport au prix d’une grande exposition par exemple ? Ce qui est d’autant plus paradoxal que la culture génère beaucoup d’argent, avec des effets collatéraux positifs sur l’économie, sur le tourisme notamment. Je fais partie d’un pôle de réflexion qui réfléchit au rapport public/ privé et aux dérives auxquelles conduit l’application des stratégies marketing dans le champ de l’art. La rentabilité, les chiffres de fréquentation, la notion de profit en général, prennent parfois une place trop importante et finalement assez injustifiée quand on sait que de plus en plus de gens fréquentent les lieux d’expos. Monumenta, par exemple, en regard du retour sur investissement que cela représente, n’est pas une exposition si chère qu’on veut bien le dire. L’autre nœud majeur est la question de la représentation des artistes, autant sur le terrain médiatique (la télévision n’a toujours pas trouvé le format adéquat pour parler d’art et ce sont toujours les mêmes porte-parole, qui n’ont pas grand-chose à voir avec la réalité du milieu, que l’on cite – Jeff Koons et Damien Hirst…) que sur la scène internationale. Ces dernières années, j’ai vécu à Berlin et à New York ; depuis les États-Unis, on a une très mauvaise visibilité sur la scène européenne qui bénéficie pourtant d’une densité incroyable. Plutôt que des expos sur la scène française qui ne produisent aucun effet sur la durée parce qu’il n’y a pas d’identité collective, il vaudrait mieux promouvoir deux bonnes expos monographiques par an, gérées par les institutions locales et relayées par la critique locale. Travailler à partir de leur vocabulaire plutôt que de débarquer, portées par un organisme qui a changé trois fois de nom en trois ans (entre l’Afaa, Culture France et l’Institut français, on s’y perd !). Arrêtons le saupoudrage contre-productif sur le territoire et le parachutage à l’international.” recueilli par C. M. photo Audouin Desforges pour Les Inrockuptibles 28.11.2012 les inrockuptibles 45
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Stanislas Nordey acteur, metteur en scène
“même sans argent, le gouvernement et le ministère ont devant eux un boulevard pour redonner un peu de sens à notre paysage culturel” “Je me souviens d’un slogan publicitaire qui m’avait marqué dans les années 70, ‘On a pas de pétrole, mais on a des idées’. Eh bien pour qualifier la situation de la culture d’aujourd’hui, je dirais que… ‘Quand on n’a pas d’argent, on se doit d’avoir des idées.’ On réduit toujours à un afflux de fric les années Jack Lang au ministère de la Culture, mais il y avait aussi la production d’une pensée à mettre en œuvre, parce que sinon, rien de tout ce qui a été réalisé à cette époque-là n’aurait marché. Les dix dernières années se caractérisent par une terrible absence de discours, voire un assassinat méthodique de toute pensée sur la culture. Si je prends l’exemple du droit de vote pour les étrangers, ça ne coûte rien de le mettre en œuvre, alors pourquoi attendre, faisons-le… C’est pareil pour la culture. Aujourd’hui, à mon avis, et même sans argent, le gouvernement et le ministère ont devant eux un boulevard pour redonner un peu de sens à notre paysage culturel. S’ils sont inventifs et à l’écoute des artistes, ils peuvent réformer en profondeur nos métiers en faisant juste preuve d’un peu d’intelligence. Et de l’intelligence, il y en a partout, il suffit de la solliciter. Cela dit, après les dix ans que nous venons de vivre, on hérite d’un ministère de la Culture dans un tel état de déliquescence qu’il faudra que l’équipe en place remotive ses troupes et démontre sa capacité à être créative et maline. Bien que je n’abandonne rien sur la question des financements et que je sois toujours le premier à me battre pour que l’on ait des moyens pour travailler, j’ai l’impression qu’il faut saisir cette crise économique comme une occasion formidable pour que de la pensée se développe autour de la restructuration de nos pratiques. Quand on cherche, on trouve… mais, si le ministère reste sur ses positions technocratiques, c’est la fin de tout. Très concrètement pour le théâtre, il faut redonner aux lieux leur vocation d’espaces de fabrication. Au fil des années, les structures existantes sont devenues des lieux de diffusion mais quid des endroits où l’on peut inventer des formes nouvelles ? Quelqu’un comme Vincent Macaigne n’arrive pas à produire son prochain spectacle, pareil pour Gisèle Vienne. Je pourrais aussi citer Philippe Quesne ou Sylvain Creuzevault. Dès que quelque chose déborde un tant soit peu de la norme et du cadre, on ne lui laisse pas la place d’exister. C’est d’abord une question d’ouverture d’esprit.” recueilli par P. So. photo Audouin Desforges pour Les Inrockuptibles
de statut des plus grandes institutions de l’État a induit leur transformation en agences culturelles de plus en plus éloignées de leur cœur de mission d’origine”, alerte ainsi le collectif du Social Art Center Club. “Les stéréotypes ont la vie dure : la culture est encore perçue comme un secteur non marchand, de subventions, réservée à quelques créateurs fantasques et un public averti, répond par la bande Aurélie Filippetti. Une étape indispensable est de refonder le rapport entre économie et culture.” Et la ministre de rappeler un autre chantier qui attend les musées et centres d’art dans les prochaines années : “Celui de la transition numérique des industries de contenus culturels. Par exemple, le musée du Louvre a développé en partenariat avec Nintendo un très astucieux système d’audioguides permettant la géolocalisation du visiteur, ce qui n’est pas un luxe au Louvre ! Le Centre Georges Pompidou vient également de développer un musée virtuel, qui n’est pas une simple visite numérique de Beaubourg mais un nouvel espace public muséal innovant pour les internautes.” C. M.
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le “fund raising”, la recherche de financements privés, devient le sport le plus pratiqué par les gens de l’art livre Baisse de la TVA, guerre contre Amazon et transition numérique, la politique du livre selon Aurélie Filippetti.
Une romancière au ministère. Sur le papier, le profil d’Aurélie Filippetti a de quoi rassurer le secteur du livre. Surtout après le quinquennat Sarkozy, pas franchement porté sur la chose littéraire. Que l’on se remémore les sorties sur La Princesse de Clèves : l’ex-président déclarait avoir “beaucoup souffert sur elle” ; le livre a bien souffert aussi sous ses cinq années au pouvoir. Notamment quand le taux de TVA sur le prix du livre a été porté à 7 %, décision qui menaçait d’affaiblir un marché déjà fragile. Dès son arrivée rue de Valois, Aurélie Filippetti a ramené ce taux à 5,5 %, mesure effective au 1er janvier 2013. “Le livre est de nouveau considéré comme un bien de première nécessité, se réjouit Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF). C’est évidemment une bonne nouvelle pour des raisons commerciales et économiques. Cela signifie qu’en janvier 2014, le livre bénéficiera de la baisse du taux réduit à 5 % et ne sera pas touché par la hausse du taux intermédiaire à 10 %, ce qui aurait été extrêmement pénalisant.” Le SLF a également entamé un travail avec le ministère à l’élaboration d’un plan en faveur des librairies indépendantes, l’une des priorités affichées de la ministre qui y a consacré une enveloppe de 1 million d’euros dans le budget 2013. Son autre cheval de bataille : la transition numérique. Aurélie Filippetti se bat avec la Commission européenne au sujet de l’alignement du taux de TVA du livre numérique sur celui du livre papier. Elle a aussi accusé à plusieurs reprises Amazon de contourner la loi du prix unique. Bercy réclame d’ailleurs au géant de la vente en ligne 200 millions d’euros d’arriérés fiscaux. “Avec Amazon, on va vers l’abus de position, confirme Vincent Montagne, à la tête du Syndicat national de l’édition. Il ne faut pas que la concentration par les grands acteurs du numérique engendre une domination culturelle. Le marché doit être encadré.” Ce que réclament aussi les auteurs, notamment par la voix de la Société des gens de lettres. “Nous souhaitons une vraie défense du droit d’auteur et un financement de la création à l’heure d’internet, rappelle Jean-Claude Bologne, son président. Nous en sommes encore au niveau de l’engagement.” É. P.
les chiffres clés
2,3% c’est la diminution du budget de la Culture décidée par le gouvernement de François Hollande et de son Premier Ministre, Jean-Marc Ayrault
budget total du ministère de la Culture
divers secteurs de la culture, de la recherche et des médias
3,55
Md€
7,4 milliards d’euros audiovisuel public
3,83
Md€
part du budget (en millions d’euros) éducation artistique et culturelle
+8%
2012
2013
interventions en faveur du spectacle vivant et des arts plastiques
385,8 direction des Drac (Direction régionale des affaires culturelles)
774,4
33,2 516
aides à la presse
enseignement supérieur culturel
+ 2,52 % 2013
2012
232,2
Sources : Ministère de la Culture et de la Communication
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Rue de Valois à Paris, lundi 19 novembre 48 les inrockuptibles 28.11.2012
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Aurélie Filippetti “la culture, c’est un champ réel d’inégalités”
U
ne inquiétude sourde remonte aujourd’hui du monde de la culture, à la suite de la baisse du budget de votre ministère… Est-ce seulement un effet mécanique de la crise des finances publiques ou l’indice d’un tournant dans la politique culturelle ?
Aurélie Filippetti – Il faut sortir de la logique du chiffre. On a souvent réduit la réflexion sur la politique culturelle à la part du budget. Je ne dis pas que ce n’est pas important, mais on peut porter un autre regard en France sur la politique culturelle. Au niveau national, la culture est trop souvent considérée, à tort, comme un luxe ; quand on entend “supplément d’âme”, on entend d’abord “supplément” et pas “âme”. Il existe donc cette vision selon laquelle la culture coûte de l’argent et n’est pas structurante pour notre pays. Je ne la partage pas. Cette conception s’explique cependant aussi par les politiques menées, qui se sont trop longtemps limitées à une accumulation de projets. En particulier avec Nicolas Sarkozy, qui n’a cessé d’annoncer des projets, sans cohérence, sans vision, et sans financement ! C’était le règne de la culture “fait du prince” : un fait discrétionnaire et même arbitraire. Je crois qu’on peut repenser totalement la politique culturelle en sortant de la logique du chiffre et de la politique de l’offre. Lorsque Jack Lang était ministre, il était normal de développer une politique de l’offre : on partait de loin, il manquait des établissements, il fallait investir sur le territoire, mais les choses ont changé. Pendant la campagne présidentielle, certains ont même posé la question de la légitimité du ministère de la Culture ! La dimension professionnelle des métiers de la culture est parfois occultée. Aujourd’hui, il faut repenser cette politique en expliquant nos objectifs, en sortant de l’autojustification par l’accumulation, en retrouvant le sens de l’action politique. Que peut donc opposer un gouvernement de gauche à cette crise de légitimité ? Comment redéfinir une politique culturelle sans argent ? Avec un peu moins d’argent, mais pas sans argent ! D’abord, il y a des réformes juridiques et politiques fondamentales à mener : par exemple, face à la Commission européenne qui défend une vision très libérale de la culture, il faut réaffirmer, réarmer la notion d’exception culturelle à l’ère numérique. Une directive est par exemple en ce moment en
gestation : elle vise à interdire aux régions d’investir dans les productions cinématographiques. Ce n’est pas acceptable ! Mon travail, c’est aussi de batailler contre ces dérives européennes et la loi de la jungle.Le prix unique du livre numérique, le combat sur la TVA, la réflexion sur les fournisseurs d’accès à internet : les sujets ne manquent pas. Et la France n’est pas seule ! Une politique culturelle ne nécessiterait donc pas forcément des moyens financiers importants mais plutôt une stratégie de résistance à un cadre libéral de plus en plus fort ? La culture est au cœur de notre modèle social européen. Les mécanismes de création et de diffusion de la création nécessitent des modes de régulation fins. La main invisible du marché ne fonctionne pas du tout pour la culture. Les effets du prix unique du livre ont permis, par exemple, de préserver la diversité dans la chaîne du livre, de l’éditeur au libraire. C’est cela qu’il faut défendre. Si j’avais davantage d’argent dans mon budget, je ne ferais pas de grands travaux : j’investirais plus dans l’éducation artistique, dans la recherche de nouveaux publics, dans la formation, dans la présence de la culture dans l’espace public, numérique… Je ne veux pas non plus opposer État et collectivités locales. On travaille tous pour l’intérêt général, pour ce modèle culturel qui crée du lien social, de la citoyenneté, de l’emploi, des filières, de l’activité dans les territoires et beaucoup d’externalités positives. La démocratisation culturelle a-t-elle encore un sens après les critiques dont elle a été l’objet ? La culture, c’est un champ réel d’inégalités, même si on ne peut pas dire sans nuances que la démocratisation culturelle a été un échec: les théâtres ont du succès, les émissions culturelles sont proportionnellement plus regardées par les classes populaires que par les classes favorisées... Cet idéal de démocratisation a tiré tout le monde vers le haut. Mais le terme s’est un peu galvaudé. L’objectif reste, lui, d’actualité. Quel pourrait être alors votre slogan clé : que défendre, la culture pour tous ou la culture pour c hacun ? Je n’aime pas les slogans. Il y a en revanche un travail idéologique à mener pour réaffirmer la place de la culture dans notre modèle de société et pour imposer l’idée de l’importance de la culture dans la vitalité économique de la France. “Pas de redressement productif sans redressement créatif” ! On a des marques, comme dirait Arnaud Montebourg ! 28.11.2012 les inrockuptibles 49
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On est attractif, pas seulement pour les touristes, mais aussi pour les investisseurs qui viennent en France, intéressés par son écosystème culturel. La culture est un vrai levier de croissance, et cela peut être un pilier pour permettre au pays de se redresser. Le rapport Gallois évoque les atouts de la France : le premier exemple cité, ce sont les industries culturelles. Comment comptez-vous soutenir ce secteur ? Par des mesures concrètes : dans le pacte de compétitivité, par exemple, il y aura des mesures de crédit d’impôt pour le cinéma, pour attirer des tournages en France. Aujourd’hui, le Royaume-Uni capte 50 % du chiffre d’affaires des tournages de films étrangers, notamment américains ; la France seulement 3 % : ce n’est pas normal ; on peut atteindre 30 % grâce à ce crédit d’impôt international. Il faut aussi mettre en place un autre crédit d’impôt pour éviter la délocalisation des tournages de films français à l’étranger. Ces mesures, c’est conforter le cinéma, c’est créer de la valeur en France. Les attaques portées contre le cinéma français sont injustes, il faut le protéger. En quoi le soutien aux industries culturelles ou le redressement créatif suffisent-ils à dessiner une politique culturelle de gauche ? À l’opposé d’une vision strass et paillettes, la gauche doit se mettre au service des gens, lutter contre les inégalités entre citoyens et entre territoires. C’est pourquoi j’insiste sur l’éducation artistique et culturelle ; c’est pourquoi j’ai maintenu les crédits déconcentrés dans les Drac, car ce réseau fait aussi la force de la culture en France, sur tous les territoires, et il est fragile. L’une de vos priorités est de développer l’éducation artistique, comment allez-vous vous y prendre ? Par la généralisation. Beaucoup d’expériences existent, mais de façon trop diffuse. Il faut désormais que cela touche tous les enfants scolarisés, du primaire à l’université. L’idée, c’est que chaque année, chaque enfant bénéficie d’un parcours comprenant des pratiques artistiques, un contact régulier avec des œuvres, et une sensibilisation à l’histoire des arts. Il n’y aura pas d’homogénéisation, mais une généralisation. À Aurillac, on est orienté vers les arts de la rue, à Marciac vers le jazz... On tiendra compte des réalités locales. C’est un de mes grands chantiers, et l’un des plus compliqués : plus compliqué que de construire une pyramide ! Le numérique est également un de vos grands chantiers. Un ministre de la Culture a-t-il le pouvoir de s’opposer à des géants comme Google, Apple ou A mazon ? On a une légitimité politique, et la loi s’applique à tout le monde. Par exemple, pour aller jusqu’à l’étape ultime, s’il n’y a pas d’accord entre Google et les éditeurs de presse pour les droits voisins, le président de la République a clairement indiqué qu’il y aurait
“on a des marques. On est attractif pour les investisseurs qui viennent en France”
une loi. Au Brésil, une position plus radicale a encore été prise. On n’est pas pieds et poings liés. Nous ne sommes pas isolés en Europe : il y a l’Allemagne, l’Italie, le Portugal… L’Europe peut-elle être une alliée dans ce dossier ? Évidemment, on va plaider notre cause à Bruxelles, même si certains à la Commission sont victimes d’une certaine forme de fétichisme technologique qui tend à développer les réseaux pour les réseaux ! Alors que ce qui circule sur les réseaux, ce sont des œuvres, des informations. Et on ne peut pas laisser Google décider des informations qui seront diffusées. François Hollande a reçu les professionnels et s’implique fortement dans ce dossier. L’état de la presse, c’est un sujet chaud du moment… L’État continuera à mettre de l’argent dans le soutien à la presse. L’État est neutre : il accompagne un secteur fondamental pour la démocratie, sans tenir compte des contenus éditoriaux. Il y a de grandes réformes à mener dans ce domaine au cours de l’année qui vient. Aujourd’hui, on donne de l’argent à tout le monde. Certains journaux, qui contribuent à l’intérêt général, ont besoin d’être aidés en profondeur – je le répète, il n’y aura aucun rapport entre aides et contenu éditorial. La refonte des aides à la presse est un chantier majeur, notamment pour mieux accompagner la presse d’information générale. Cette réforme aura lieu en 2013, avec des aides plus ciblées. Un autre dossier un peu compliqué figure sur votre bureau, celui de l’intermittence… Oui, l’échéance est pour 2013. Ce sera une négociation entre partenaires sociaux mais évidemment je la suivrai avec Michel Sapin, en charge du dialogue social. Il y a de vraies inquiétudes des intermittents… L’inquiétude est liée au fait qu’au 31 décembre 2013, il faut avoir renégocié – sinon c’est le système qui tombe. Je considère que c’est une question d’intérêt général. On a besoin d’un système d’accompagnement pour ceux qui, par leur métier, dans des secteurs artistiques, ont des spécificités qui nécessitent des modalités d’indemnisations particulières. D’autant que ce sont les artisans du redressement créatif ! Exactement ! Le gouvernement lutte contre la précarité dans tous les domaines professionnels. Ce n’est pas pour l’accroître dans les domaines artistiques. Certes, il y a aussi des secteurs qui abusent de l’intermittence, cela on le sait, en particulier dans le domaine de l’audiovisuel, ce qui justifie que des contrôles beaucoup plus stricts soient mis en œuvre. On doit pouvoir avancer sur beaucoup de sujets : comment entre-t-on dans le système, la question du plafonnement, etc. Il ne faut pas avoir de vision trop simpliste car il n’y a pas de solution simpliste. On parlait de l’audiovisuel. Il nous a semblé observer des tensions au sein du gouvernement concernant la redevance. Vous avez trouvé une solution. Au-delà, quels sont les préceptes de votre action pour l’audiovisuel public ? Sur le fond, je respecte profondément l’indépendance des entreprises de l’audiovisuel public tout en exerçant, comme ministre de la Culture et de la Communication, une tutelle stratégique. C’est mon rôle. Je considère que le service public doit garantir une certaine qualité d’offre.
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Quels sont vos rapports avec Rémy Pflimlin, à la tête de France Télévisions ? On travaille beaucoup ensemble. Comme avec tous les présidents de chaînes. J’ai préservé les budgets de Radio France, de l’AEF, d’Arte, de l’INA. France Télévisions pouvait supporter une baisse de ses moyens. Le service public fait au demeurant un très bon travail : l’info, par exemple, y est remarquable. Il y a des créations qui sont vraiment intéressantes, comme Ainsi soient-ils, sur Arte. C’est l’idée que vous vous faites de la télé publique… Oui. La télévision, c’est populaire et c’est très bien ainsi. D’ailleurs, les émissions culturelles sont regardées par les gens des catégories populaires. Et la logique de l’Audimat ne doit pas l’emporter sur tout, même s’il est évidemment nécessaire de le prendre en compte. Mais ce ne doit pas être le seul critère. En somme, il faut travailler en respectant les grandes missions du service public : le soutien à la création, la proximité, les programmes jeunesse et enfant, le travail sur la fiction française, sur les séries, l’investissement sur l’écriture. Il faut redéfinir les critères d’appréciation de l’offre ! France Télévisions avait commencé à travailler sur le Qualimat, cela me semble très intéressant. En tant que ministre, comment par exemple intervenez-vous dans ce type de débat ? J’en parle ! Parfois, je prends position publiquement. On va redéfinir le contrat d’objectifs et de moyens de France Télévisions, à partir de janvier. En raison de la contrainte budgétaire. Mais ce ne doit pas être seulement une discussion budgétaire. J’ai placé le travail engagé avec France Télévisions sur le terrain des choix stratégiques, de la notion de service public.
Où en est-on de la réflexion sur Hadopi ? La mission Lescure travaille. Les auditions seront terminées fin décembre. Ensuite, commencera une phase de concertation que je lancerai le 23 janvier. Il s’agira d’échanger sur des pistes concrètes de réforme. Puis il y aura la remise d’un certain nombre de propositions. Je les examinerai avec attention. Mais en même temps, il y a des urgences à traiter, des décisions à prendre maintenant. Sur la copie privée, par exemple : les industriels ont claqué la porte, ce n’est pas acceptable. Et cela n’empêchera pas la commission de continuer à fonctionner et d’établir un nouveau barème. Les professionnels de la musique ont mal vécu l’arrêt du CNM, le Centre national de la musique, lancé sous Sarkozy, et qui était une sorte de CNC de la musique… Le CNM ne reposait pas sur un mécanisme de financement de la musique assuré, et de plus il fragilisait le financement du cinéma. On peut trouver d’autres mécanismes pour la musique sans qu’ils soient forcément problématiques pour le cinéma. Comment intégrez-vous les rapports de force avec vos collègues, notamment avec le ministre délégué du Budget, Jérôme Cahuzac, et David Kessler, conseiller culture de François Hollande à l’Elysée ? Depuis le début, je lis dans la presse qu’on ne s’entendrait pas avec David Kessler ! Cela ne repose sur rien ! C’est un plaisir de travailler avec lui ! Son rôle est de conseiller le Président et de l’informer. Je ne vais pas appeler tous les jours le Président et lui dire : “Il faudrait faire ceci, ou cela”. C’est le rôle de David Kessler, il le fait très bien et nous travaillons très bien ensemble ! C’est important d’avoir un conseiller qui pèse et qui puisse m’aider dans les arbitrages. Et avec Jérôme Cahuzac ? Quel que soit le gouvernement, avec Bercy, c’est toujours plus compliqué ! Il y a eu des arbitrages budgétaires difficiles. Du côté de la Culture, il y a un effort inouï à produire en termes de redressement budgétaire, de finances publiques. Un effort important a déjà été fait. Le ministère a été exemplaire. Jérôme Cahuzac l’a d’ailleurs reconnu en parlant d’un ministère de la Culture courageux. C’est pour le budget 2013. Des efforts exceptionnels ont été concédés par les opérateurs comme le CNC, qui ne pourront pas se reproduire chaque année ! Je pense important de montrer que le monde de la culture est responsable et solidaire face à la crise. Mais il ne faut pas aller au-delà d’un certain équilibre, qui a maintenant été trouvé. L’année prochaine, je veux qu’on puisse monter en puissance sur l’éducation artistique, que l’on montre l’impact positif et structurant de la culture dans l’économie pour affirmer la pleine légitimité des dépenses culturelles, même en période de crise. Car la culture, c’est aussi un ferment de la citoyenneté, d’intégration. En tout cas c’est l’idée que je me fais de la France, une France ouverte, qui ne soit pas dans une pétrification nationaliste mais qui puisse offrir à chacun un horizon d’émancipation individuel. Et cela va de pair avec un bien-être collectif. recueilli par Jean-Marie Durand, Marion Mourgue, Pierre Siankowski photo Audoin Desforges pour Les Inrockuptibles retrouvez l’intégralité de l’entretien sur
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Alain Séchas, Huiles 6, 2012, courtesy de l’artiste et galerie Chantal Crousel, Paris/ADAGP
huit jours de bons plans De la culture en crise à la culture en temps de crise : des idées pour se cultiver à l’œil, ou presque. par Claire Moulène
vernissage de l’expo d’Alain Séchas à la galerie Chantal Crousel. Samedi 1er décembre
samedi 1er décembre 11 h 30 Après un after trop matinal et une semaine de bourre, vous devez recharger les batteries pour attaquer votre semaine de culture gratuite. Attention marathon. 15 h 30 Vous avez fait un tour aux abords du MK2-Bibliothèque et décidez de rattraper le temps perdu en visitant l’exposition du Suisse Pierre Vadi à la galerie Triple V. Vous faites vite, c’est le dernier jour. 24, rue Louise-Weiss, Paris XIIIe, triple-v.fr 17 h t apantes Vous avez couru dans le mauvais sens à la sortie de la station Mairie d’Ivry, en bout de course de la ligne 7 du métro parisien. Vous n’aviez pas intégré que le Credac, le Centre d’art contemporain d’Ivry-sur-Seine avait déménagé il y a un peu plus d’un an à la Manufacture des Œillets. Au troisième étage de ce bâtiment industriel, les artistes Chloé Maillet et Louise Hervé, en tenues de conférencières, vous accueillent dans l’exposition L’Homme de Vitruve, consacrée, justement, au monde ouvrier. Elles réalisent une performance aujourd’hui qui prend pour point de départ la collection d’objets de Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, ancien ministre de la Fonction publique, et figure légendaire, ici à Ivry. Ça n’a pas l’air comme ça, mais vous allez rire, promis. durée : 40 min. Réservation indispensable au 01 49 60 25 06,
[email protected], www.credac.fr 19 h 45 Comme vous avez décidé d’attaquer votre marathon par une bonne rasade d’art
Tabou de Miguel Gomes, en avantpremière pour les abonnés aux Inrocks. Lundi 3 décembre contemporain, vous passez en coup de vent au vernissage d’Alain Séchas à la galerie Chantal Crousel dans le Marais. En espérant vous faire inviter à l’apéro improvisé au bar d’à côté. 10, rue Charlot, Paris IIIe, www.crousel.com
dimanche 2 décembre 11 h C’est dimanche matin, et vous en voulez. Vous assistez pour 5 petits euros à la très belle et très généreuse conférence donnée au Théâtre de la Ville par l’historienne, journaliste et réalisatrice de films sur la danse, Sonia Schoonejans, sur les liens entre la danse et les beaux-arts. 2, place du Châtelet, Paris Ier, www.theatredelaville.com 15 h e t 15 h 30 Si vous avez le don d’ubiquité, vous pouvez vous rendre à la fois à Marseille, à Lyon ou à Nantes où les musées d’art contemporain organisent chacun leur visite guidée du dimanche après-midi. À Marseille, à 15 h 30, c’est la rétrospective du photographe et écrivain Édouard Levé qu’on peut parcourir ; à Lyon, à 15 h, celle ultra bien foutue consacrée à Cage et Satie à l’occasion des 50 ans du mouvement iconoclaste Fluxus, tandis qu’au Lieu Unique à Nantes, à 15 h 30, on vous propose de découvrir les 8 000 mètres carrés de ce complexe culturel pas comme les autres où les artistes, musiciens et activistes font le show dans un ancien silo ou au sommet du gyrorama qui permet par la même occasion d’avoir une vue panoramique sur
la ville de notre Premier ministre. Et c’est presque gratuit. www.mac-lyon.com, www.lelieuunique.com, www.lesartistescontemporains.com/ macmarseille.html 22 h Vous êtes de retour chez vous et vous vous précipitez sur votre Mac, vous avez appris que Larry Clark avait mis en ligne pour 5,99 dollars son dernier film, Marfa Girl. Au festival de Rome, où il a obtenu le prix du meilleur film, le réalisateur de Kids a dit “Fuck à Hollywood”. www.larryclark.com
lundi 3 décembre 12 h Vous soudoyez votre tante, détentrice de la fameuse carte du ministère de la Culture qui donne accès à tous les musées et permet en plus de faire rentrer quelqu’un, pour visiter le blockbuster de ce début d’hiver : l’exposition Dalí au Centre Pompidou. En plus, vous ne faites pas la queue. Et si vous n’avez pas de tante fonctionnaire, vous pouvez toujours naviguer en ligne sur la nouvelle version du site internet de Beaubourg, un modèle en matière de transition numérique, nous a dit Aurélie Filippetti. Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr 20 h Si vous êtes abonnés aux Inrocks, vous gagnez des places pour le cinéclub du soir consacré à la projection en avant-première d’un des meilleurs films de l’année : Tabou, du Portugais Miguel Gomes. réservation par mail à
[email protected]
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Arno Lam
le folk hippie de Theodore, Paul & Gabriel aux Bars en Trans, à Rennes. Samedi 8 décembre
mardi 4 décembre 14 h Vous êtes à Bordeaux aujourd’hui et vous décidez d’aller voir gratis (si et seulement si vous avez moins de 25 ans et détenez la carte “Bordeaux ma ville”) les très pointues monographies consacrées à l’Allemand Michael Krebber et au jeune Français Jonathan Binet au CAPC de Bordeaux. Et puisque vous avez fait de sérieuses économies cette semaine, vous montez boire un café à la terrasse du resto designé par André Putman, au dernier étage du musée. www.capc-bordeaux.fr 14 h Ah non, en fait vous êtes en banlieue parisienne aujourd’hui, et vous avez décidé de passer la journée à la médiathèque du Centre national de la danse de Pantin, où l’on peut voir des films de danse et lire quantité de revues. À l’œil. www.cnd.fr 17 h Puisque vous avez redécouvert la joie des médiathèques et du service public, vous décidez que demain, mercredi (aujourd’hui c’est fermé), vous irez travailler à la BPI, la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou, connue aussi pour être un des hauts lieux de drague de la capitale.
mercredi 5 décembre 13 h 30 Certes, vous avez payé cher (très cher même : 10,20 euros exactement) votre place pour aller voir L’Âge atomique d’Héléna Klotz, mais pour la peine, vous grugerez un peu et vous
enchaînerez trois films d’affilée en ne repassant jamais par la case départ et en vous glissant, en catimini, d’une salle à l’autre. À l’UGC Ciné Cité Les Halles, c’est possible, vous a-t-on dit. Certes, vous aurez manqué le début de Cogan d’Andrew Dominik, avec Brad Pitt en guest-star, mais vous aurez réussi à voir en entier Les Invisibles de Sébastien Lifshitz. Aux Halles, c’est un peu comme à Cannes. 21 h Ce soir, c’est détox – en plus vous avez la tête comme une citrouille après avoir passé près de six heures dans les salles de cinéma. Vous filez sous la couette et entamez en VO Duncan, le chien prodige d’Adam Hines (une des BD de l’année), gratuitement mise en ligne sur geneva-street.com/ duncanthewonderdog/index.html
jeudi 6 décembre 13 h Vous profitez du cycle de rencontres et de conférences gratuit organisé dans l’amphithéâtre de l’Opéra-Bastille. Aujourd’hui, focus sur les œuvres de Claude Debussy et de Sergueï Prokofiev. www.operadeparis.fr 15 h Si vous êtes à Lyon, vous n’avez pas le choix, vous devez visiter de toute urgence la petite exposition du jeune Adrien Missika à la Salle de Bains. www.lasalledebains.net 20 h Depuis peu, vous adorez le quartier de Belleville et fréquentez assidûment le réseau
de ses galeries d’art, parmi les plus hypes de la capitale. Et comme vous êtes dans le coin, vous foncez à la librairie l’Atelier (métro Jourdain), où François Cusset présente son premier roman À l’abri du déclin du monde, aux éditions P.O.L. Le reste de l’année, on est addict au site www.librest.com, qui permet de suivre les événements gratuits des librairies de l’est parisien.
vendredi 7 décembre 18 h Vous n’avez rien fait avant, mais ce soir c’est du lourd : le palais de Tokyo, le nouveau paquebot parisien, inaugure une nouvelle salve de modules dédiés à la jeune création. Vous découvrirez donc en avant-première le travail de Mimosa Échard, Maxime Chanson, Henrik Potter, Éponine Momenceau et Iván Argote. Enfin, si vous avez la chance de les trouver dans les quelque 20 000 mètres carrés d’espaces d’exposition. En tout cas, c’est gratuit et si vous jouez bien, vu que même l’équipe du palais s’y perd, vous pourrez accéder en douce aux deux autres expos (payantes) qui s’ouvrent au même moment, Lek & Sowat et la bien nommée Bordel monstre. www.palaisdetokyo.com
samedi 8 décembre 16 h 30 Vous avez réussi à ne pas vous faire griller par le contrôleur du train et avez rallié les Transmusicales, à Rennes, et surtout ses concerts Bars En Trans (5,50 euros) où écouter la pop des Normands Singtank, le folk hippie de Theodore, Paul & Gabriel ou l’ex-Diabologum Michel Cloup… www.barsentrans.com 28.11.2012 les inrockuptibles 53
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écrivain cherche éditeur Chaque année, des milliers de manuscrits arrivent par la poste dans les maisons d’édition. Sont-ils toujours lus ? Par qui ? Comment s’opère le tri ? Visite dans les coulisses de la fabrique littéraire. par Élisabeth Philippe photo David Balicki pour Les Inrockuptibles
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rès digne dans sa tenue de gentleman-farmer, caban et casquette tartan, l’homme est formel : il y a vingt ans, il a envoyé un manuscrit écrit sous pseudonyme et, ô surprise, il vient de voir son livre dans la vitrine d’une librairie du boulevard Saint-Germain. Seulement personne ne l’a prévenu de la publication de son roman. À l’accueil de la maison Gallimard, les deux hôtesses écoutent poliment l’énergumène dérouler son histoire abracadabrantesque. Non, elles n’ont pas trace de son manuscrit dans leurs fichiers. Non, elles n’ont pas gardé de reçu. Ce genre de scène se produit tous les jours, assure l’une des standardistes avec stoïcisme. “Des gens viennent nous parler de leur manuscrit refusé devenu un succès ou plagié.” Pas de vigiles pour barrer le passage aux importuns. Nous sommes à Saint-Germain-desPrés, dans le monde feutré des lettres. Feutré, certes, mais enveloppé de mystères et de superstitions. Connivences, copinage, arbitraire…
le destin des manuscrits alimente particulièrement la machine à fantasmes : les textes envoyés par la poste ne seraient jamais lus, voire pas ouverts ; seuls ceux recommandés par des éminences grises de la maison ou écrits par des personnalités du sérail – fils ou filles de, journalistes… – auraient une chance de voir le jour. Chaque année, environ 6 000 manuscrits circulent parmi la cinquantaine de maisons d’édition. Un sur mille, en moyenne, sera publié. Presque autant de chances de gagner à l’Euro Millions. Pourtant, le choix des manuscrits n’a rien d’une loterie. Chaque maison fonctionne à sa façon, mais partout le circuit est le même : on lit, on trie, on relit, on débat, on re-trie, et on écrème ainsi jusqu’à trouver la perle rare. La première étape consiste à séparer le bon grain de l’ivraie. Chez Actes Sud, à Arles, c’est Swann Cuyalaa, assistant au service des manuscrits, qui est chargé de cette mission : “On reçoit entre vingt et trente manuscrits chaque jour. Contrairement à une idée reçue,
la qualité d’un texte n’éclate pas dès la première phrase. On s’appuie sur un faisceau d’indices pour juger de la valeur d’un texte : la qualité des dialogues, le rythme, la continuité narrative…” “On repère très vite les très mauvais manuscrits, confirme Martine Boutang, éditrice chez Grasset. De la même manière, on distingue rapidement ceux qui sont excellents.” Elle étudie la quinzaine de textes qui arrivent chaque jour rue des Saints-Pères. “Quant à ceux, nombreux, qui se situent entre les deux, il faut les lire jusqu’au bout pour voir s’ils sont récupérables ou non. Il ne s’agit pas d’une science exacte. Ce travail est surtout affaire de sensibilité. Quand j’ouvre un manuscrit, je ne recherche rien de précis, seulement à être séduite, prise par le texte.” Elle ne se laisse pas non plus influencer par les notes d’intention et autres lettres jointes aux textes. “J’ai reçu plusieurs fois des manuscrits de jeunes femmes accompagnés d’une photo d’elles en maillot de bain. Pour certains, publier un roman, c’est comme passer dans une émission de télé-réalité : une voie royale
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“Ce qui m’intéresse avant tout, c’est de trouver des livres qui peuvent bousculer mes idées.” Paul OtchakovskyLaurens, fondateur et directeur de P.O.L
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éditrice chez Grasset, Martine Boutang regrette que les considérations commerciales pèsent de plus en plus lors des débats en comité de lecture pour la célébrité.” L’éditrice regrette d’ailleurs que les considérations commerciales pèsent de plus en plus lors des débats en comité de lecture, étape à laquelle accèdent les manuscrits qui ont retenu son attention. Une douzaine de personnes – dont Olivier Nora, le patron de la maison – se réunissent tous les lundis pour décider du sort des textes. On leur attribue des notes : 0 pour le manuscrit idéal, 3 pour un refus, 1 pour une publication. Chez Gallimard, le barème diffère légèrement : 1 pour une publication, 2 pour un refus et une subtile déclinaison de dixièmes pour marquer le degré de réserve. Le système a été mis au point par Gaston Gallimard et participe de la légende de la maison centenaire, tout comme les fiches de lectures. Certaines sont restées célèbres. Ainsi celle rédigée par André Gide au sujet du premier volume d’À la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann : “C’est plein de duchesses, ce n’est pas pour nous.” Voilà comment, dans un premier temps, Gallimard est passé à côté de Marcel Proust. De quoi rassurer, ou du moins consoler, les auteurs refoulés. “Il faut réussir son entrée en littérature, souligne Philippe Demanet, secrétaire littéraire, responsable des manuscrits français chez Gallimard. Nous avons refusé cinq manuscrits à Alexis Jenni avant de le publier.” Son premier roman, L’Art français de la guerre, a obtenu le Goncourt l’an dernier. Idem avec Aurélien Bellanger : “Il nous avait envoyé son essai sur Houellebecq. Assez remarquable, mais pas pour nous. Je lui ai conseillé d’écrire un roman.” On connaît la suite. La Théorie de l’information a été l’une des révélations de la rentrée. Tous les ans, Gallimard reçoit environ 6 000 manuscrits, soit la quasi-totalité de la production. “Ils sont tous examinés de près. Une personne est chargée du premier examen, ce que l’on appelle ici le ‘feuilletage’. Dès qu’un manuscrit ressemble à une œuvre de fiction écrite en français, il est mis en lecture auprès
d’un premier cercle composé de quatre lecteurs professionnels qui rédigent des fiches.” Philippe Demanet, qui aime se comparer à un aiguilleur du ciel, est ensuite chargé de dispatcher les manuscrits entre les différents éditeurs de la maison avant les débats au comité de lecture présidé par Antoine Gallimard, auquel siègent notamment Philippe Sollers, J-B. Pontalis ou encore JeanMarie Laclavetine. “Le comité n’a rien de démocratique, poursuit Philippe Demanet. Un lecteur convaincu et convaincant emportera la publication.” Responsable du service des manuscrits au Seuil, Laure Bellœuvre, historienne et politologue de formation, considère la masse de textes qu’elle défriche (entre 3 500 et 4 000 par an) comme “un formidable matériau humain et sociologique”. Elle voit passer de tout. Parfois n’importe quoi. “Un jour, par exemple, j’ai reçu le manuscrit d’une dame d’un certain âge, l’histoire de son caniche abricot accompagnée de photos. Évidemment, c’était impubliable, mais émouvant malgré tout”, raconte-t-elle de sa voix douce. Au terme d’un laborieux travail d’orpaillage, elle débusque des pépites. Comme le manuscrit d’un certain Dalibor Frioux, arrivé par la poste. “Deux énormes volumes, se souvient-elle. J’ai tout de suite vu que c’était un texte qui se détachait du lot.” Brut, premier roman virtuose sur fond de pénurie pétrolière, s’imposera comme l’un des livres marquants de la rentrée 2011. Pour repérer ces trésors, il faut avoir l’œil, mais aussi savoir dégainer plus vite que son ombre, sous peine de se voir rafler la mise par un concurrent. C’est parce qu’il a été le plus rapide à se manifester que Paul OtchakovskyLaurens, à la tête de P.O.L, a décroché le manuscrit de Marie Darrieussecq. Que convoitait aussi Martine Boutang, entre autres. “Marie Darrieussecq partait pourtant avec un sérieux handicap, se rappelle-t-il en sourirant. Elle avait trouvé mon adresse dans l’annuaire et m’avait envoyé son manuscrit chez moi. Or, je déteste ça, je considère que c’est
une intrusion. Mais j’ai tout de suite été enthousiasmé par la tonalité ironique de son histoire formidable, sa manière très particulière de l’incarner, faussement naïve et sensuelle. J’étais très exalté. Je l’ai appelée dès le lendemain.” Publié en 1996 et vendu à plus de 200 000 exemplaires, Truismes est l’un de ces succès fulgurants auquel rêve tout éditeur. “On ne sait jamais si un livre va marcher, et c’est encore plus vrai quand il s’agit du manuscrit d’un inconnu, rappelle Paul Otchakovsky-Laurens. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est de trouver de bons livres, avec une écriture personnelle, originale ; des livres qui peuvent bousculer mes idées.” Pas de comité de lecture chez P.O.L. Paul Otchakovsky-Laurens dépouille seul les 3 200 manuscrits qui lui arrivent en moyenne chaque année. Quand un texte lui plaît, il le fait lire à ses collaborateurs. Bien sûr, il lui est arrivé de passer à côté d’auteurs importants. Comme tous les éditeurs. “Je n’ai pas su reconnaître Jean Echenoz. J’ai hésité pourtant. Et puis, il y a eu des rendez-vous ratés. Avec Hervé Guibert, par exemple. J’avais refusé son premier texte, La Mort propagande, qui ne ressemblait pas du tout à ce qu’il a écrit ensuite.” Parfois, les auteurs aux manuscrits refusés envoient des lettres de menaces. Aujourd’hui, beaucoup déversent leur amertume sur internet. Certains avec humour, d’autres avec un fiel pathétique. Paul Otchakovsky-Laurens a même fini par répondre à une blogueuse qui s’est fait une spécialité de cracher sur ce qu’elle nomme le “milieu hostile de l’édition”. Défouloir, internet n’est pas encore devenu un creuset de nouveaux talents pour les éditeurs traditionnels. Ils n’ont en tout cas pas pris l’habitude d’explorer la toile en quête de textes prometteurs qui se dissimulent peut-être parmi les milliers de livres numériques autoédités. C’est comme cela qu’a été repéré Fifty Shades of Grey, le best-seller porno-soft. Après, tout dépend de ce que l’on cherche : le bon livre ou le bon coup.
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“Le comité de lecture n’a rien de démocratique. Un lecteur convaincu et convaincant emportera la publication.” Philippe Demanet, secrétaire littéraire chez Gallimard
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la longue marche Les vétérans de Madness sont toujours en vie. Trésor national anglais depuis trois décennies, ils prolongent sur un nouvel album pétulant leur chronique douce-amère de la société britannique. par Christophe Conte et Ondine Benetier 58 les inrockuptibles 28.11.2012
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eurs parents, Beatles ou Kinks, sont morts depuis longtemps. Leurs cousins Specials ou leurs enfants Blur se contentent de tournées best-of à but résolument lucratif. Pendant ce temps, Madness avance. Leur credo est le même depuis leurs débuts en 1979 : one step beyond. Une exception, presque une anomalie, dans le paysage de la pop britannique où les haines fratricides sont légion, les rabibochages parfois sordides et les carrières endurantes souvent pathétiques. En 2009, quand les frères Gallagher s’empaillèrent en direct à Rock en Seine, l’ironie voulut que ces vétérans increvables remplacent à la dernière minute Oasis sur la grande scène, enchaînant bon pied bon œil leur second set de la journée. Trois ans après l’opulent
Virginia Turbett/SIN/Dalle
Àl ’époque de One Step Beyond (1979)
et ambitieux The Liberty of Norton Folgate qu’ils défendaient à l’époque, les revoilà de nouveau en piste avec un dixième album, Oui Oui Si Si Ja Ja Da Da, dont seul le nom bégaie. Une facétieuse pochette signée par l’artiste pop Peter Blake – celui qui réalisa voici quarante-cinq ans la crèche psychédélique de Sgt. Pepper’s – laisse apparaître les titres d’album envisagés un moment par le groupe, dont Men of Steel (“Les Hommes de fer”) ou Circus Freaks (“Les Monstres du cirque”). Mais à l’écoute, c’est bien la solidité inaltérable de Madness qui l’emporte haut la main sur l’aspect monstrueux de sa persévérance. Cela tient en effet du miracle, alors qu’ils ont tous allègrement franchi la barre de la cinquantaine, de voir ces sept gaillards continuer à écrire des pop-songs éclatantes au lieu de jouer les mercenaires égrillards. Leur My Girl 2 affiche un teint aussi pimpant que son aînée de 33 ans, le cuivré Never Knew Your Name ne fait aucunement pâle figure à côté de son jumeau Embarrassment de 1980, Kitchen Floor est aussi sensible et poignant que Grey Day et ils se permettent même avec Death of a Rude Boy un clin d’œil appuyé au Ghost Town des Specials. Leur recette, comme celle du breakfast tea, ne changera jamais : une décoction typiquement british de reggae, de blue-beat, de pop délicatement victorienne à la Ray Davies et une dose de burlesque pour mieux faire glisser l’amertume de textes qui auscultent inlassablement la psyché anglaise et la culture londonienne depuis trois décennies. Madness, pour résumer, c’est depuis la fin des années 1970 l’improbable chaînon (chenille ?) qui relie Ken Loach à Benny Hill. En 1976, les quartiers du nord de Londres forment comme une écharpe de plomb et de poudre autour du cœur scintillant de Piccadilly, d’Oxford Street et des joyaux architecturaux de la Couronne britannique. La misère sociale, le renoncement politique et le délabrement urbain laissent proliférer comme du chiendent humain des grappes entières de jeunes gens dont les journées se résument à un va-et-vient sans illusion entre le pub et l’agence pour l’emploi. La musique, comme souvent en Angleterre, constitue l’éventuelle planche de salut pour tenter de s’extraire de l’impasse. Certains choisiront l’exutoire du punk, et d’autres, plus malins ou moins belliqueux, chercheront à réactiver d’anciennes sonorités en vogue dans les années 1960 chez les jeunes prolos, initiés au ska et au rocksteady au contact de la communauté jamaïcaine 28.11.2012 les inrockuptibles 59
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One Step Beyond entraîne toute une génération dans la folie du ska
Surl e tournage du clip de Our House (1982)
Clare Muller/Redferns/Getty Images
ska qui réchauffe l’ambiance et échauffe les esprits, draînant contre son gré des hordes de skinheads qui menacent de transformer chacun de ses concerts en guérilla hooligan.
et des soundsystems qui égayaient alors la torpeur des samedis soirs anglais. Marqués également par leur aîné Ian Dury, pilier du pub-rock londonien qui est parvenu à conjuguer son amour de Gene Vincent et du reggae, trois des futurs membres de Madness esquissent leur propre mélange sous le nom évocateur de The North London Invaders. L’invasion, de Londres, de l’Angleterre et de l’Europe tout entière, aura bel et bien lieu quand, rejoints par quatre autres rude boys du quartier de Camden prêts à en découdre avec la fraîchement élue et aussitôt haïe Margaret Thatcher, ils se baptiseront Madness en hommage à une chanson du Jamaïcain Prince Buster. La providence aura voulu qu’au même moment à Coventry, bastion des futurs Specials et The Selecter, ou Birmingham où commencent à se réunir UB40 et The Beat, le ska et le reggae mélangés à la pop percent une saignée colorée, dansante mais socialement virulente, dans la grisaille post-punk. Le premier single de Madness, The Prince – retour de politesse envers celui qui leur a inspiré leur nom –, est publié sur le label 2 Tone fondé par le cerveau des Specials, Jerry Dammers, mais c’est avec l’album (et le tube vrombissant), One Step Beyond, que Madness entraîne derrière lui toute une génération dans la folie du
Un temps ambigu vis-à-vis des skins, le groupe s’engage très vite dans la lutte antiraciste, tandis que la déferlante des damiers accompagnée par les danses absurdes de ces crétins autoproclamés (Nutty Boys), qui ne devaient amuser la galerie qu’une saison, va se prolonger en l’une des plus belles sagas de toute l’histoire de la pop britannique. Avec plus de vingt singles catapultés dans le Top 10 anglais entre 1979 et 1986, des hits qui se propagent également sur tout le continent comme Night Boat to Cairo, It Must Be Love ou Our House, six premiers albums quasi inaltérables (dont le chef-d’œuvre The Rise & Fall en 1982), Madness n’a pas volé son statut de trésor national. L’affection des Britanniques pour le groupe n’est d’ailleurs pas si éloignée de celle qui entoure les Beatles. Après leur séparation au milieu des années 80, leur retour, six ans plus tard pour deux concerts à Finsbury Park, provoquera sous les bondissements des 75 000 spectateurs dès les premières mesures de One Step Beyond un mini-tremblement de terre enregistré par les ingénieurs de l’observatoire sismique londonien. “Je crois que nous sommes un groupe assez unique en live, on est véritablement en symbiose permanente”, avance modestement Graham “Suggs” McPherson, chanteur et véritable icône de la culture anglaise, alors que le groupe entame une énième tournée pour défendre le répertoire du nouvel album et remettre quelques pennies dans son impressionnant juke-box. Accompagné pour l’interview du tout aussi imposant (et tout autant chanteur) Chas Smash et du batteur Daniel Woodgate, Suggs ne s’émerveille jamais assez de la longévité du groupe et surtout de son incroyable pertinence musicale depuis qu’il a retrouvé le chemin des studios. “Dans ces périodes de récession, on a tous l’impression d’être entourés de gros cons égoïstes, mais ce n’est pas forcément vrai. Un concert de Madness, c’est un moment fraternel où tout le monde est à égalité.” L’intelligence de Madness, cette fois, est d’avoir fait appel à quatre producteurs issus de générations différentes pour parvenir sur les quatorze titres de Oui Oui Si Si Ja Ja Da Da à une synthèse quasi parfaite du son anglais des trente dernières années. On retrouve ainsi Clive Anger qui accompagne le groupe depuis le premier album, Stephen Street (The Smiths, Blur), Owen Morris (Oasis, The Verve) et le nouveau venu
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Paul Rider
Époque The Liberty of Norton Folgate (2009)
une synthèse quasi parfaite du son anglais des trente dernières années Charlie Andrew, notamment repéré cette année derrière Alt-J. “De l’ancien, du nouveau et des fondamentaux”, résume Suggs en saluant au passage le culot du jeune Charlie qui a su botter les illustres fessiers des membres de Madness lorsqu’ils menaçaient de se reposer un peu vite sur leurs lauriers. Daniel Woodgate : “On a travaillé ensemble sur un morceau, Small World, et il m’a dit : ‘Ces paroles sont bien trop tournées vers le passé. Tu devrais écrire quelque chose de plus moderne’. Et il avait cent fois raison !”
On a parlé British culture avec Madness : pour voir notre vidéo, photographiez ce QR code à l’aide de votre smartphone et d’une appli Flashcode
Comme une solide équipe de foot de Premier League (avant l’invasion des milliards russes et émiratis), la force torrentielle de Madness réside dans son collectif et la façon dont il est parvenu à renouveler sans cesse un style pourtant étroit, rugueux en apparence mais d’une incroyable finesse dans le détail. Ici des trompettes mariachis (La Luna), là des claviers qui sautillent comme des puces savantes (Leon), d’autres qui font remonter des sixties l’acidité de 96 Tears (My Girl 2), ailleurs un antique rocksteady nullement sujet aux rhumatismes (So Alive). On trouve même une tentative hip-hop pas du tout ridicule
à la fin de Death of a Rude Boy, qui s’intègre comme tout le reste avec fluidité au petit cirque excentrique et imperturbable des Nutty Boys. Évidemment, par rapport à ses heures glorieuses des années 80, Madness n’a plus la même résonance aujourd’hui dans la société anglaise. Plus exactement : la société anglaise ne ressemble plus vraiment aux chansons de Madness. On parie même que la grande majorité des Britanniques (ne parlons même pas du reste du monde) passera à côté du nouvel album, tant celui-ci renvoie encore et toujours à un idéal insulaire qui n’existe plus que dans la nostalgie de quelques rêveurs mélancoliques. Norton Folgate parlait justement de ce Londres englouti par les appétits affairistes et la surenchère immobilière. Le nouveau est plus ouvert, son titre laisse penser que Madness a cherché pour la première fois de sa longue histoire à faire accéder sa musique à une forme d’universalité sans frontière ni cocarde. C’est sans doute trop tard et ce n’est pas forcément si grave. Ils ont joué sur les toits de Buckingham Palace lors du jubilé de la reine, ils figuraient parmi les groupes étendards de la fierté nationale lors de la cérémonie des Jeux olympiques de Londres, ils tournent encore et beaucoup moins en rond que la plupart de leurs congénères. Certains que les gamins de Camden aux accents rustiques qu’ils étaient à leurs débuts auraient jugé qu’un tel devenir était une impensable folie. album Oui Oui Si Si Ja Ja Da Da (Lucky Seven/Atmosphériques) blog.madness.co.uk retrouvez Madness en vidéo sur
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Héléna Klotz entourée de ses acteurs : Niels Schneider, Dominik Wojcik, Eliott Paquet et Luc Chessel 64 les inrockuptibles 28.11.2012
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Héléna et les garcons Rencontre avec Héléna Klotz, auteur de L’Âge atomique, un premier film vibrant, tout en balades nocturnes et amitiés masculines électriques. par Jean-Marc Lalanne photo Philippe Garcia pour Les Inrockuptibles
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ui dit premier film dit film à la première personne. On ne compte plus, disons depuis Les Quatre Cents Coups de Truffaut, ces premiers longs métrages de jeunes cinéastes aux abords de la trentaine qui, pour leur coup d’essai, se projettent dans des personnages de dix ans ou quinze ans leur cadet afin de faire le récit d’un apprentissage (premiers deuils, premières amours, premiers émois sexuels). Ces dernières années, les premiers films français les plus marquants ont été le fait de cinéastes femmes et avaient en commun de raconter la sortie de chrysalide de très jeunes filles (Belle épine, Un poison violent, Naissance des pieuvres, Ma vie au ranch…). L’Âge atomique, premier long métrage de la jeune Héléna Klotz, est une nouvelle variation autour de l’adolescence et de ses expériences d’autant plus incandescentes qu’elles sont vécues pour la première fois. “Oui, c’est vrai que j’ai conçu L’Âge atomique comme un journal intime, nous dit la réalisatrice. Tout ce dont parle le film m’est familier, son matériau est presque documentaire.” À ceci près que ce n’est pas sur une figure de jeune fille que se projette la cinéaste, mais sur celles de deux garçons. Deux ados de banlieue venus à Paris pour traîner toute une nuit : “J’avais besoin de désirer mes personnages. Je ne suis pas sûre qu’il y ait tant de différences que ça entre les filles et les garçons. Mais je suis sûre que j’ai plus de désir à filmer des garçons. Le désir, c’est mon angle d’attaque. C’est le point d’où je me place pour observer autour de moi. D’une certaine façon, je l’ai même inscrit dans l’histoire : le film raconte l’histoire d’un garçon secrètement amoureux d’un autre. D’ailleurs, beaucoup des artistes qui ont compté dans ma vie sont homosexuels : Bernard-Marie Koltès, Pier Paolo Pasolini,
Gus Van Sant… Je suis touchée, de façon très érotique, par le désir d’hommes pour d’autres hommes.” Si le film parle du désir et de ses complications, c’est aussi un portrait très inspiré d’un certain état de la vie, transitoire et pourtant vécu comme un moment suspendu : la jeunesse. “Tous les films que j’ai écrits, celui-là, mon premier court métrage, ceux que je n’ai pas encore réalisés parlent de personnages très jeunes. Je crois que ce qui me fascine tant dans la jeunesse, dit la cinéaste à peine trentenaire, c’est qu’elle permet de se représenter à quoi va ressembler le futur. En l’observant, on filme déjà demain.” Hier, Héléna Klotz était une lycéenne en section scientifique qui se passionnait à la fois pour la musique, la peinture, le théâtre. Ses parents, les cinéastes Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval (auteurs de La Blessure, La Question humaine…), l’encourageaient à aller où elle avait envie d’aller. Elle s’inscrit dans une fac de cinéma, mais a déjà commencé depuis longtemps son initiation cinéphile. “J’ai découvert très jeune le cinéma d’auteur. À 15 ans, j’ai été foudroyée par Bresson, en premier lieu Mouchette et Au hasard Balthazar. Puis j’ai découvert Pasolini. Je ne m’intéressais pas du tout aux mêmes films que mes copains de lycée. Le cinéma américain m’était totalement étranger. Je n’y comprenais rien. Et puis, assez jeune, j’ai quitté la maison de mes parents pour m’installer avec un homme. Il détestait le cinéma que j’aimais, et du coup nous nous sommes mis à regarder des séries.
“observer la jeunesse permet de se représenter à quoi va ressembler le futur”
J’ai d’abord découvert 24 heures chrono et c’est devenu comme une drogue. J’ai adoré ce côté addictif, le fait que ça n’en finisse pas, ce rapport hypnotique à un récit. Puis je me suis plongée dans Les Soprano, The Wire, Breaking Bad. J’ai fini par rencontrer le cinéma américain, d’abord par la comédie et les acteurs : Will Ferrell, Ben Stiller, Owen Wilson…” SuperGrave, cette balade fusionnelle entre potes, toute une nuit, est peut-être une influence discrète de L’Âge atomique. Et dans le cinéma français, comment se sent-elle ? “J’ai du mal à voir de quoi on parle quand on dit ‘cinéma français’. Je vois plutôt des auteurs très singuliers. Pour prendre trois d’entre eux qui m’intéressent beaucoup, je ne vois pas d’unité esthétique entre Arnaud Desplechin, Bruno Dumont ou Christophe Honoré. En revanche, on peut parler des institutions du cinéma français. Mon film, comme celui de Valérie Massadian, Nana (un autre premier film audacieux et très réussi de l’année – ndlr), a été financé comme un court. Avec ce budget, nous avons réalisé des longs, sélectionnés dans des festivals étrangers, sortis en salles. Mais le CNC ne nous a pas accordé pour autant d’aide à la réalisation. On sent bien que le système n’intègre pas d’autres façons de faire des films, n’est pas prêt à changer ses manières de production. Mais ce n’est pas si grave. D’ailleurs, si je vois quelque chose de commun entre toutes les filles de ma génération qui font des films, Sophie Letourneur, Rebecca Zlotowski, Katell Quillévéré, Céline Sciamma, ça tient à une certaine façon de ne pas se laisser écraser par les contraintes du système, une capacité à forger son microsystème. Peut-être parce qu’on hérite de quelque chose de moins ancien, de moins lourd. Dans les films de toutes ces filles, il y a vraiment un élan.” lire critique pages suivantes 28.11.2012 les inrockuptibles 65
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L’Âge atomique d’Héléna Klotz Deux adolescents s’enfoncent dans la nuit parisienne pour une virée mi-festive, mi-mélancolique. Sensuel, entêtant et diablement romantique, le premier film d’une voix singulière.
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’Âge atomique est le premier long métrage, fragile et très beau, d’une jeune femme de 32 ans, Héléna Klotz. Son sujet est l’adolescence, ses pulsions de sexe et de mort confondues, ses enthousiasmes et ses prostrations, sa grandeur et son ridicule. Son décor est Paris la nuit, ses gares, ses trains de banlieue, ses clubs souterrains, ses ponts et ses forêts voisines. Jusqu’ici, rien de très original dans l’imaginaire du cinéma français, dont on vérifie chaque semaine l’obsession intacte pour l’adolescence comme lieu de fictions et de fantasmes. Mais quelque chose de plus singulier et d’abstrait survient dans L’Âge atomique, qui déborde du simple portrait réaliste d’une génération. Ce n’est pas tant la jeunesse d’aujourd’hui qui intéresse Héléna Klotz qu’un état immuable de celle-ci, une malédiction traversant les époques. Cet état, appelons-le mélancolie, la réalisatrice en recueille l’écume contemporaine dans une sorte de sampling qui irait de la littérature romantique jusqu’à la dépression post-punk (le film emprunte son titre à une chanson d’Elli et Jacno), dont ses
personnages seraient les derniers dépositaires, condamnés à la souffrance. Comment échapper à ce sinistre héritage, c’est la question qui occupera les protagonistes du film, Victor et Rainer (Eliott Paquet et Dominik Wojcik, inconnus, admirables), deux adolescents taciturnes et las que l’on accompagnera le temps d’une nuit de galère sur une trame instable et flottante, entre plans drague échoués, déambulations à l’aveugle et bagarres de rue. Dans un Paris irréel, presque mythique, gagné par la brume et encerclé de rails métalliques, ils passeront séparément ou ensemble par différents lieux et autant d’états émotionnels, dissertant avec une emphase trompeuse sur le sexe, le sens de la vie, la poésie et la médiocrité de tout ce qui n’est pas eux. L’Âge atomique est d’abord le récit drôle et jubilatoire de cette arrogance de la jeunesse, son lyrisme crâneur et sa radicalité incertaine, saisis sous les lumières artificielles des clubs le temps d’une très belle séquence de montée d’ivresse qui installe le film dans une humeur sensuelle et magnétique, tout en ralentis langoureux et pulsations
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Bond en arrière
des fantômes apparaissent sur le quai d’une gare, des succubes troublent les rêves, la ville devient un décor de la Hammer cold-wave. Puis vient la descente : la BO se fait plus discordante, hypnotique ; Victor et Rainer basculent dans l’ombre mélancolique, aspirés par un flux violent de tristesse qui ne se raconte pas, ou mal (ils tenteront par deux fois, dans des scènes déchirantes, de confesser leur douleur d’être au monde, leur sentiment d’incomplétude). Le film lui-même semble attiré par une force obscure tandis qu’il s’écarte de tout réalisme pour emprunter les sentiers d’un romantisme noir, évoquant Jean-Paul Civeyrac, et d’un fantastique primitif, hyperstylisé. C’est la grande force de ce jeune cinéma sans gêne et aventureux, qui n’hésite pas à frayer dans les eaux du
bis ou à croiser les imaginaires pour inventer sa propre langue : des fantômes apparaissent sur le quai d’une gare, des succubes troublent les rêves, la ville devient un décor de la Hammer, Rainer ressemble désormais à un vampire sevré de sang (peut-être celui de Victor, auquel il semble lié par une relation équivoque faite de désirs secrets et de pulsions carnassières). Sous les effets répétés de ces visions psychotropes à la beauté tranchante, qui révèlent un sens de la mise en scène étourdissant, L’Âge atomique chemine vers une superbe séquence dans une forêt de conte où, loin de la rumeur du monde, les deux adolescents s’avoueront enfin leur secret avant de regagner le jour. Ce secret, qui est aussi sûrement celui d’Héléna Klotz, c’est un fougueux et obstiné désir de vie, malgré la mélancolie et le chagrin ; c’est une manière de rester debout au milieu des ruines, ainsi que le chantaient déjà Elli et Jacno en 1980 : “On dit que tout va sauter/ Oui, ça nous fait rigoler”. Romain Blondeau L’Âge atomique d’Héléna Klotz, avec Eliott Paquet, Dominik Wojcik (Fr., 2012, 1 h 08). Lire aussi le portrait d’Héléna Klotz p. 64
À l’heure où le modèle homosexuel de la conjugalité est abondamment insulté sur la place publique par les opposants au mariage pour tous, certains ont pu se réjouir de voir dans Skyfall de Sam Mendes un petit clin d’œil gay-friendly. Javier Bardem, tout frétillant, glisse sa main sur la cuisse de Daniel Craig et l’invite à essayer des expériences nouvelles. Là où des années de vannage hétérobeauf dans les blockbusters font craindre une réponse de virilité outragée, James Bond laisse entendre que ce ne serait pas forcément la première fois. Une petite transgression certes, mais aussi le cache-sexe subversif d’un film ultra-phallocentré : Skyfall est un véritable manifeste machiste et un réquisitoire contre l’accession des femmes à des postes à responsabilité. Au début du film, le MI6 est entre les mains d’une patronne – et ce depuis 1995 et la reprise de la franchise avec Pierce Brosnan en 007. Tout ce à quoi travaille ce nouvel opus est de désigner cet état de fait comme un matriarcat à problèmes. M comme mother, donc : la source de tous les maux y est l’attachement trop fort, ombilical, d’un ancien agent (bien sûr pas très net sexuellement) qui n’a pas supporté que sa maman l’abandonne. Et le film de décliner avec emphase l’imagerie de l’enfantement (boyaux, entrailles, eaux-plasma). Le dénouement consiste à tout restaurer : M redevient un homme (et James Bond échange les tourments de l’abandon contre une complicité masculine décontractée). Dans un même enthousiasme masculiniste, sa consœur qui débutait le film sur le terrain (sauf que, pas de chance, elle manquait de tuer le héros) réintègre, ravie, la place ancestrale de la femme au travail : le bureau de la secrétaire à laquelle, comme il se doit, on ne manque pas de glisser une blague grivoise en passant. Si la vie de James Bond consiste depuis tout temps à vivre et laisser mourir, celle des personnages féminins de Skyfall (comme M, comme la James Bond girl qui ramasse une balle dans la tête) ne connaît qu’une alternative : mourir ou… devenir secrétaire.
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Les Cinq Légendes de Peter Ramsey (É.-U., 2012, 1 h 37)
Les Invisibles de Sébastien Lifshitz
En plein débat sur le mariage pour tous, un beau récit documentaire de trajets de vie d’hommes et de femmes gays d’âge mûr. Salutaire et poignant.
C
omment filmer l’invisible ? Ce n’est pas exactement à cette vieille antienne du cinéma que Sébastien Lifshitz semble vouloir répondre dans son dernier documentaire. S’il lui arrive de filmer le vent, les nuages, la nature (toujours avec un aussi grand sens du cadre), la question qui lui importe est moins “Comment montrer ce qui est invisible ?” que “Comment montrer ceux qui sont invisibles ?” Suivant donc la route qu’il s’est tracée de réalisateur français de la cause LGBT (Presque rien, Wild Side…), Lifshitz revient au documentaire plus de dix ans après La Traversée (la recherche d’un père par son fils à travers les USA) en décidant de s’intéresser aux personnes que l’on ne veut pas montrer, des hommes et des femmes homosexuels, nés entre les deux guerres, qui vont devenir les témoins d’une époque. Occultés par la génération sida des années 80, ceux qui, pour certains, ont amorcé les luttes avec le Fhar (Front homosexuel d’action révolutionnaire) dans les années 70 ou qui ont tout simplement survécu au raz-de-marée du virus, sont aujourd’hui de vieilles personnes, dont on n’entend jamais la parole, victimes qu’ils sont souvent du jeunisme de la communauté.
comme un film de mémoire, Les Invisibles est une œuvre importante, pas seulement pour la communauté gay
Six mois après sa projection en sélection officielle à Cannes, Les Invisibles décroche haut la main la palme de la sortie la plus opportune de l’année. Car, à revoir, toujours avec la même émotion, ce film, alors qu’entre-temps la France s’est dotée d’une majorité de gauche à l’Assemblée, les témoignages de lutte se sont déplacés sur le terrain de la politique. En plein débat sur le mariage pour tous, Les Invisibles fait office d’acte salvateur. Alors que Lifshitz s’attendait à trouver beaucoup de célibataires quand il est parti à la recherche de ces témoins, il est tombé sur de nombreux couples. Certains y parlent des difficultés à vivre leur homosexualité à une époque où l’OMS la considérait comme une maladie mentale et avant que François Mitterrand ne la dépénalise. Dans tous les cas, on sent beaucoup de force et de résistance. Ces aînés ont peut-être manqué à la génération arrivée dans les années 90, qui a bénéficié des avancées post-68 du Fhar tout en marchant sur le charnier que le sida avait laissé une décennie plus tôt. Comme un film de mémoire, Les Invisibles est donc une œuvre importante, pas seulement pour la communauté gay. “L’essentiel est invisible pour les yeux”, confessait le renard au Petit Prince. Il venait de lui apprendre à l’apprivoiser. Il ne reste à la société qu’à en faire de même avec l’homosexualité. Romain Charbon
Un conte de Noël boosté à la 3D. Séduisant, malgré sa tendance à la surenchère visuelle. Dernier né de la politique schizophrène de l’empire DreamWorks, partagé entre les prolongements de franchises exténuées et les films plus prestigieux, Les Cinq Légendes de Peter Ramsey (mais aussi et plus sûrement de son producteur exécutif, Guillermo del Toro) intrigue d’abord par la simplicité très premier degré de son pitch. Dans les décors ordinaires de banlieues américaines, le croque-mitaine revient obscurcir les rêves de l’enfance, contraignant les “gardiens” (un Père Noël version badass, le Lapin de Pâques, le Marchand de sable…) à reprendre les armes pour défendre l’imaginaire et la croyance des kids. Préserver le merveilleux contre l’ironie ou le cynisme (contre ce qu’a pu faire DreamWorks auparavant ?), c’est la grande idée du film, qui sème ses impressionnants climax visuels dans une 3D gracieuse, le temps d’une première partie enlevée. La réussite aurait été complète sans le retour des vieux démons du cinéma de Guillermo del Toro, cette pénible logique d’accumulation (d’effets, de monstres, de magie…) qui contredit un peu le mouvement du film et sa belle modestie. Romain Blondeau
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Populaire de Régis Roinsard Un film plus grinçant qu’il n’y paraît, qui subvertit ironiquement la comédie classique hollywoodienne. i le pitch, ni le synopsis, ni la bande-annonce ne laissent présager ce film étrange qui contredit sa reconstitution manucurée des années 50 et ses poses et postures empruntées à un cinéma hollywoodien dont Régis Roinsard est manifestement adepte. Le cinéastescénariste avoue qu’en écrivant cette histoire d’une oie blanche de Lisieux bras de son patron et oublier ces concours poussée par son patron assureur à devenir ineptes, Échard, lui, est littéralement championne du monde de dactylographie, possédé, transformant l’entraînement il ne savait “pas du tout si le film prendrait de la jeune fille en torture. Le culot, c’est le chemin d’un drame ou d’une comédie”. de jouer la méchanceté au premier degré À l’arrivée, ce n’est toujours pas très (elle explose avec les personnages du père clair. Le film avance masqué derrière et du fils Japy, rois cyniques de la machine ses couleurs pimpantes et ses séquences à écrire). Le sexe est métaphorisé par la rythmées, qui pourraient ressembler de machine à écrire, objet fétichisé, qui devient loin à celles d’une comédie romantique à la un substitut, une prothèse SM. On est alors Richard Quine. Pourtant, la rudesse, voire plus près de Crash et du Festin nu que de la brutalité de Louis Échard (Romain Duris) la comédie américaine ; la machine devient à l’égard de sa championne ne sont pas la condition sine qua non de la jouissance. une coquetterie de séducteur macho. Une relation amoureuse normale Si l’oie blanche aimerait tomber dans les est inenvisageable pour ce patron dont
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la misogynie n’est pas une feinte. Le happy-end ne peut être considéré que dans le cadre hystérique du concours de dactylo – et encore, il tombe comme un cheveu sur la soupe. Autrement dit, ce film qui brandit avec ambiguïté l’adjectif “populaire” est une vraie surprise. Un fac-similé soigné du cinéma hollywoodien des années 50 certes, mais qui en dévoie effrontément l’esprit en transformant le jeu de la séduction en simulacre. Vincent Ostria Populaire de Régis Roinsard, avec Romain Duris, Déborah François, Bérénice Bejo (Fr., 2012, 1 h 51)
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Violeta d’Andrés Wood avec Francisca Gavilán, Thomas Durand (Chili, Arg., Br., 2011, 1 h 50)
L’histoire intrigante d’une star chilienne de la chanson, sabotée par un biopic indigent. Le problème avec “les destins hors du commun”, c’est qu’ils exigent justement d’un cinéaste qu’il ne le soit pas, commun. Or, ce premier film sur l’histoire secrète et a priori passionnante de Violeta Parra, la chanteuse, poétesse et peintre chilienne qui révolutionna la musique traditionnelle de son pays au cours des années 60, souffre à peu près de tous les maux recensés du biopic contemporain : une dramatisation forcée des origines (il faut trouver le trauma derrière le succès), une obsession pour le pittoresque et le mimétisme, une progression calquée sur la chronologie des événements. Auxquels on ajoutera une tendance au symbolisme grossier qui n’arrange rien à cette sombre affaire. R. B.
The Brooklyn Brothers de Ryan O’Nan La chronique charmante de deux popeux en tournée. eux indie-popeux dans comédies Sundance (calquées la dèche, l’un songwriter sur le sinistre Little Miss Sunshine), forcément sensible les personnages ne sont ici (Ryan O’Nan, également les porte-drapeaux de rien, n’ont réalisateur), l’autre hurluberlu aucun message vaseux sur ne jouant qu’avec des instruments la vie à délivrer si ce n’est, tout au pour enfants (Michael Weston plus, qu’il faut croire en son en simili Daniel Johnston), talent. O’Nan se pose exactement s’en vont faire la tournée des au niveau de ce qu’il filme, (toutes) petites salles américaines. et de son honnêteté finissent par Pourquoi, malgré son intrigue naître quelques très belles scènes, cousue de fil blanc, sa mécanique dont l’écriture d’une chanson de road-movie éculée et en direct par un tonton et son petit sa mise en scène tout à fait neveu. Cutie. Jacky Goldberg conventionnelle, The Brooklyn Brothers parvient-il à exhaler The Brooklyn Brothers de Ryan O’Nan, un charme si tenace ? C’est avec lui-même, Michael Weston (É.-U., 2 011, 1 h 27) que, contrairement à 90 % des
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Lola Versus de Daryl Wein avec Greta Gerwig, Joel Kinnaman (É.-U., 2012, 1 h 27)
L’égérie arty Greta Gerwig illumine une ordinaire comédie romantique indé. Abandonnée la veille de son mariage, la pétulante Lola, 30 ans, un beau loft new-yorkais et une carrière d’écrivaine à l’horizon,
plonge dans un état de déprime et de doutes existentiels, toute occupée à choisir son nouveau boyfriend. Sur cet argument classique bien qu’assez séduisant, Lola Versus déclinera sans passion ni inventivité le programme d’un chick flick tantôt mièvre, tantôt gentiment trash (fumette, baise
et échangisme). Heureusement, Lola est incarnée par la nouvelle princesse in distress du cinéma américain, Greta Gerwig, dont le charme lunatique, la gaucherie et l’élégance discrète bousculent un peu le cours de cette banale chronique sentimentale. Romain Blondeau
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Woman on the Run de Norman Foster Exhumation d’un joyau méconnu du film noir, d’une sécheresse déchirante. Le film Il se pourrait que la sortie de Woman on the Run (Dans l’ombre de San Francisco) en DVD donne enfin sa place, dans le panthéon hollywoodien de la série B, au réalisateur Norman Foster. Cet ancien acteur de théâtre (qui fut brièvement l’époux de Claudette Colbert), réalisateur pour la Fox des séries Charlie Chan et Mr. Moto, est en effet surtout connu pour avoir achevé en 1943 le film d’Orson Welles, Voyage au pays de la peur. Réalisé en 1950, Woman on the Run a d’ailleurs failli subir le même sort que les œuvres wellesiennes maudites, mutilées ou perdues, puisque l’unique copie existante, disparue dans un incendie, a été miraculeusement sauvée par Eddie Muller, qui raconte son histoire dans un livre accompagnant le DVD. Variation sur une trame classique (une femme part à la recherche d’un inconnu – en l’occurrence son mari), Woman
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on the Run réussit magnifiquement à en déplacer l’enjeu. La femme, interprétée par Ann Sheridan, tout juste sortie d’Allez coucher ailleurs d’Howard Hawks, fera mieux que se trouver elle-même, point d’arrivée classique d’une telle quête. Lancée dans une dérive à travers les rues de San Francisco, jusqu’au finale déchirant dans un parc d’attractions (le même décor que celui de La Dame de Shanghai de Welles), la femme, amère et cinglante, a tout oublié de “la première fois”. Par énigmes sentimentales interposées, son mari, traqué par la police et un tueur de la Mafia, lui donne rendez-vous “là où, la première fois, je t’ai perdue”. Comment mettre en scène le décor de la première fois ? Comment faire renaître un amour mort ? Comment redonner un visage et une âme à l’amant que les désillusions et le passage du temps
rendent invisible ? Avec la sécheresse déchirante des joyaux de la série B, Woman on the Run propose une réponse inoubliable. “C’est plus effrayant que romantique. – Comme l’amour, quand on est jeune, et la vie, quand on est adulte.” Le DVD En bonus, le livre d’Eddie Muller, intitulé Sauvé des cendres, qui retrace l’histoire du sauvetage et de la restauration du film, et un entretien croisé entre Noël Simsolo et Bertrand Tavernier. Hélène Frappat Woman on the Run (Dans l’ombre de San Francisco) de Norman Foster, avec Ann Sheridan, Dennis O’Keefe, Robert Keith (É.-U., 1950, 1 h 17), Wild Side Video, environ 30 €
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Gretchen Berg
Jonas Mekas (au centre) avec Andy Warhol à l’ouverture de l’Anthology Film Archives à New York en 1970
le grand témoin Rencontre avec Jonas Mekas, 90 ans, pionnier de la contre-culture et du cinéma expérimental, considéré comme l’inventeur du journal filmé.
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am only celebrating what I see” (“Je ne fais que célébrer ce que je vois”) est peut-être la phrase qui résume le plus directement Jonas Mekas. On l’entend dans un de ses films du milieu des années 60, mais la profession de foi reste valable à la veille de ses 90 ans, qu’il fêtera le 24 décembre. Si Jean-Luc Godard, son cadet de huit ans, prophétise depuis plusieurs décennies la mort du cinéma, au point d’avoir transformé son œuvre en un splendide requiem, Jonas Mekas prend le point de vue exactement inverse. Pour lui, le cinéma (re)commence toujours, à chaque nouvelle saison, à chaque début de projection, à chaque pression d’un doigt sur le bouton “marche” d’une caméra. Dans la joie. Nous entrons dans son appartement new-yorkais via Skype. Des piles
d’archives plus ou moins rangées entourent l’homme (en pleine forme), qui n’a pas oublié de laisser son chat gris s’étirer à l’arrière de la pièce. La lumière entre par le haut. Le plan est majestueux. Dans son travail, Mekas a pourtant moins l’habitude de composer des cadres fixes élaborés que de saisir le réel par morceaux épars, tremblants, voire flous. C’est son style, à la fois minimaliste et flamboyant. Mekas est considéré comme l’inventeur du journal filmé, mais rien chez lui n’a été prémédité. En débarquant à Williamsburg, quartier miséreux de Brooklyn, depuis l’Europe un jour de 1949 après avoir quitté sa Lituanie natale en 1944 et effectué plusieurs séjours en camp de prisonniers et de personnes déplacées, Mekas le passionné de poésie a eu le réflexe presque immédiat
d’emprunter une caméra Bolex 16 mm, un modèle très maniable. “À mon arrivée à New York, je me suis nourri des milieux artistiques. J’étais comme une poubelle, j’acceptais tout. J’ouvrais les yeux sur ce qui se passait autour de moi, grâce à cette caméra qui m’accompagnait partout.” Commence alors la période “légendaire” de Jonas Mekas, associée à la contre-culture florissante. En 1954, il crée avec son frère Adolfas la revue Film Culture, qui aidera à faire connaître la Nouvelle Vague aux États-Unis. Il entame en 1958 une chronique dans le mythique Village Voice et défend ce qu’on appelle bientôt le New American Cinema, un mouvement regroupant aussi bien Stan Brakhage, Kenneth Anger, Shirley Clarke, John Cassavetes que Robert Frank… “J’ai toujours voulu réagir aux situations et aux problèmes, pour ne rien
laisser mourir. En 1962, quand personne ne voulait distribuer les films novateurs du cinéma américain, j’ai créé la Film-Makers’ Cooperative pour les projeter ; une décennie plus tard, quand personne ne voulait préserver nos films, j’ai créé l’Anthology Film Archives pour les conserver.” Le rôle de GO du nouveau cinéma ne représente évidemment qu’une partie de l’activité de Jonas Mekas, qui filme sans interruption. À intervalles réguliers, il regroupe des séquences, les organise, ajoute une voix off lyrique. Cela donne plusieurs grands films, parmi les plus inoubliables expressions de la liberté au cinéma – le mot “expérimental” auquel ils sont associés semble bien trop mince. Référence directe à Henry David Thoreau, Walden (1969) compile avec une sensibilité inouïe du matériel tourné entre 1964 et 1968. À travers de véritables haïkus visuels, Mekas y montre à la fois le soleil dans les arbres, la neige, les animaux et les visages aimés, croisés au détour des rues ou des soirées. Une cosmologie intime qui est aussi un témoignage rare sur les sixties new-yorkaises. Inconnus et icônes se mêlent dans le paradis imagé conçu par le cinéaste. On croise Warhol, Dalí, John Lennon, Yoko Ono, le Velvet Underground, Jack Smith, Barbet Schroeder et même le cinéaste danois Carl Dreyer. Lost Lost Lost, assemblé en 1976, remonte un peu plus dans le temps en se concentrant sur les années 50. C’est peut-être
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“c’est très à la mode de dire du mal de YouTube mais, avec le temps, on se rendra compte que des vidéos importantes y sont nées”
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et montrer ses images aux autres. “C’est très à la mode de dire du mal de YouTube mais, avec le temps, on se rendra compte que des vidéos importantes y sont nées. Il faudra faire le tri dans cette grande mer. Quelques œuvres surnageront comme des témoignages sur l’humanité, même si personne ne les prend au sérieux, comme personne n’a pris au sérieux les frères Lumière alors que leurs films sont d’extraordinaires capsules temporelles.” Depuis une dizaine d’années, Jonas Mekas est passé intégralement au numérique. Son dernier film terminé s’appelle Sleepless
Nights Stories. Une certaine idée de l’art du cinéma : nous tenir éveillé. Olivier Joyard coffret DVD Jonas Mekas (The Brig, Walden, Reminiscences of a Journey to Lithuania, Lost Lost Lost, As I Was Moving Ahead Occasionnally I Saw Brief Glimpses of Beauty + courts métrages et suppléments). Potemkine.fr, environ 80 € exposition photo Williamsburg, Brooklyn, 1950 jusqu’au 29 décembre à la galerie du Jour Agnès b, Paris IVe rétrospective intégrale 60 films dont 25 inédits + intégrale de la correspondance Jonas Mekas/José Luis Guerín, du 30 novembre au 7 janvier au Centre Pompidou, Paris IVe
Jonas Mekas
le plus beau film de Mekas, hanté par la fugacité des objets et des êtres, comme l’ensemble de son cinéma. Même si l’intéressé tient à une mise au point. “Je pense que tout mérite d’être gardé et je suis obsédé par le fait de filmer, mais je ne m’intéresse pas aux souvenirs en tant que tels. Presque comme un anthropologue, je me passionne pour certains événements humains dont je garde une trace. Cela n’empêche pas de regarder le monde au présent.” Le présent signe d’une certaine manière la victoire symbolique de Jonas Mekas. Chacun peut aujourd’hui filmer autour de lui
Walden (1969)
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Marfa Girl de Larry Clark
three days in Rome Avec l’arrivée à sa tête de Marco Müller, ancien directeur de la Mostra de Venise, le Festival de Rome a repris des couleurs.
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out est politique, en Italie plus qu’ailleurs. Fondé en 2006 par son maire de gauche (Walter Veltroni) pour concurrencer la Mostra de Venise en créant un véritable marché du film, le Festival international du film de Rome, ville depuis passée à droite, était très vite devenu une fête du cinéma de province. Mais l’arrivée de Marco Müller (ex de Venise) à sa tête paraissait de bon augure. La presse transalpine accueillit pourtant sa nomination par une campagne violemment défavorable. La gauche lui reprochait de pactiser avec la municipalité de droite ; la droite, avant même de les avoir vus, de défendre des films trop élitistes, trop auteuristes. En trois jours, impossible de voir tous les films, mais on peut quand même se faire une idée du niveau général des sélections. Et il faut bien dire qu’il est bon. Le véritable événement fut le nouveau Larry Clark, Marfa Girl, qui se vit remettre à juste titre la récompense suprême, le prix Marc-Aurèle d’or, par le président du jury, l’Américain Jeff Nichols. Larry Clark a par ailleurs décidé de ne diffuser son film qu’en VOD – et sur son site seulement (larryclark. com). On espère évidemment qu’il sera un jour possible de le voir au moins en DVD. Marfa Girl se déroule dans un trou paumé du Texas où vit une vaste communauté d’artistes bohèmes. Adolescents magnifiques, jeunes femmes et jeunes hommes, adultes plus mûrs : tout
Larry Clark a décidé de ne diffuser son film qu’en VOD, et sur son site seulement
le monde va s’envoyer en l’air un peu avec tout le monde. Et même si un flic psychopathe vient brouiller l’harmonie du tableau, l’histoire est globalement d’une extrême tendresse. Larry Clark filme l’amour comme personne et Marfa Girl vous poursuit longtemps après que vous l’avez vu. Il y eut aussi, en invité surprise, Du Zhan, un bon vieux Johnnie To des familles, film noir et d’action d’un redoutable pessimisme. Côté “vétérans”, Walter Hill, venu recevoir une récompense pour l’ensemble de son œuvre, projetait en avant-première un polar délirant et kitschounet interprété par Sylvester Stallone, Bullet to the Head… La France était dignement représentée par Jacques Doillon (Un enfant de toi) et Valérie Donzelli (Main dans la main). Dans la section XXI, le grand documentariste israélien Avi Mograbi présentait Dans un jardin je suis entré. Enfin, notre chouchoute : la jeune Stephanie Argerich venue montrer son premier film, Bloody Daughter, un documentaire peu banal sur sa mère argentine Martha, l’une des plus grandes pianistes classiques. Une réussite artistique et intime totale, loin de tous les docucul hagiographiques, qui nous parle d’héritage, des mystères insondables de la famille (Stephanie a une foultitude de demi-frères et sœurs), de la parenté et des frontières floues entre les cultures, les langues et les genres. Cette première année romaine pour Marco Müller ? Une réussite, qui prouve une fois de plus qu’un festival n’existe pas sans la présence d’une personnalité forte ayant une ligne artistique à la fois marquée et ouverte à tous les genres de cinéma. Jean-Baptiste Morain 7e Festival international du film de Rome compte rendu
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merci la Wii (U) Malgré une identité qui reste à forger, la Wii U s’avère complète, puissante et jouable. Et pourrait bien devenir la console du moment.
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rôle de nom. Drôle de lancement, aussi, que celui de la Wii U, la nouvelle console de salon Nintendo appelée à succéder à la Wii qui, six ans après sa sortie, se rapproche tranquillement des cent millions d’exemplaires vendus. Après les ÉtatsUnis (le 18 novembre) et avant le Japon (le 8 décembre), la bête débarque en Europe ce vendredi, mais sans donner la même impression d’assurance commercialo-conceptuelle que la première Wii. Son nom même, donc, a d’abord suscité l’incompréhension.
objectif : rattraper le retard sur ses concurrentes Xbox 360 et PS3, sans trop leur ressembler non plus
Lors de sa première présentation au public, en juin 2011, certains avaient cru que la Wii U, comme la balance Wii Fit, était un accessoire destiné à la Wii et non une nouvelle console à part entière. Si ce malentendu a été levé, la Wii U n’en reste pas moins une plate-forme en quête d’identité. À moins que ce léger flou ne soit délibéré ? La stratégie de Nintendo n’est plus celle de la rupture comme avec la Wii, mais un peu quand même. La Wii U s’inscrit dans le prolongement de son ancêtre, tout en cherchant à s’en distinguer. Et l’un de ses objectifs est de rattraper le retard (en matière technologique comme de catalogue) sur ses concurrentes Xbox 360 et PS3, sans trop leur ressembler non plus. La principale innovation de la Wii U, c’est sa manette-tablette.
Si les accessoires (comme les jeux) de la Wii restent compatibles et sont mis à contribution dans les principaux titres du lancement, ce Wii U Gamepad tranche avec l’ordinaire vidéoludique. Ou, plus précisément, accommode à sa sauce à peu près tout ce qui a été tenté ces dernières années en matière d’interfaces de jeu. Comme l’iPad, la DS ou la PS Vita, la “mablette” (son petit surnom officieux) est équipée d’un écran tactile mais aussi de détecteurs de mouvement et d’inclinaison, d’une caméra, d’un micro… Comme les manettes classiques, elle compte aussi des boutons, des gâchettes, des sticks de direction. Malgré son allure massive, la prise en main se révèle confortable et l’ensemble tient de l’appel stimulant à la créativité des développeurs.
Pour l’instant, deux pistes émergent. La plus anecdotique revient à délester l’écran de télé d’un certain nombre d’infos et de fonctions (cartes, radars, gestion de l’équipement…) pour fluidifier l’expérience ludique. La seconde option est plus excitante. C’est notamment celle de parties à plusieurs mais avec des points de vue sur l’action et des rôles différents (le chasseur contre sa proie, par exemple) selon que l’on tienne en main le Gamepad (et son écran incorporé) ou une télécommande Wii (auquel cas on ne quitte pas le téléviseur des yeux). Mais d’autres possibilités existent, comme d’utiliser la manette pour viser et zoomer sur une partie de l’image. Sans parler, pour la paix des familles, de celle de continuer sa partie en cours sur l’écran
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3 jeux Wii U
du Gamepad en libérant la télé – une option que seuls certains jeux proposent. Pour le reste, la grande opération recentrage est en cours. Les manettes bizarres font fuir les plus conservateurs des joueurs ? La Wii U en possède aussi une (vendue séparément) qui ressemble furieusement à celle de la Xbox 360. Nintendo avait pris du retard en ligne ? La Wii U s’offre une sorte de réseau d’entraide et de discussion (le Miiverse) et fait un pas de plus vers le jeu dématérialisé. La Wii était trop limitée techniquement pour faire tourner les blockbusters ? Convertie à la HD, sa petite sœur est un monstre de puissance et nous arrive, entre autres, avec Assassin’s Creed III, Darksiders II, Batman: Arkham City, Mass Effect 3, Call of Duty: Black Ops II et Tekken Tag Tournament 2. Sans pour autant négliger les petits jeux rigolos qui se pratiquent aujourd’hui d’abord sur smartphone, ni la navigation internet, la vidéo à la demande – pas encore annoncée pour l’Europe – ou le tchat vidéo. La Wii était souvent la console de ceux qui n’aimaient pas trop les consoles ou, au contraire, de ceux qui en possédaient une autre pour les gros jeux HD. La Wii U ambitionne de devenir la console et, en attendant les nouvelles machines Sony et Microsoft (qui arriveront au plus tôt dans un an), ne manque pas d’arguments pour y parvenir, malgré quelques zones d’ombre. Et son drôle de nom. Erwan Higuinen Wii U (Nintendo), environ 300 € (Pack Basic, 8 Go de mémoire), 350 € (Pack Premium 32Go avec Nintendo Land) ou 400 € (Pack Premium 32 Go avec ZombiU)
ZombiU Sur Wii U (Ubisoft), environ 70 € Sombre et brutal, ZombiU détonne parmi les jeux de lancement de la Wii U. Armé de votre Gamepad sur lequel s’affichent tout un tas d’informations, vous tentez de survivre au milieu des morts-vivants. Si l’un d’eux vous mord, vous vous retrouvez dans la peau d’un autre personnage, mais sans votre équipement. Seul moyen de le récupérer : traquer votre ancien moi devenu zombie. Aussi soigné qu’oppressant, ZombiU offre l’une des expériences les plus prometteuses de la console.
Nintendo Land Sur Wii U (Nintendo), environ 60 € Rassemblant douze minijeux au gameplay “asymétrique” (un joueur dirige un fugitif et les autres ses poursuivants ; l’un pilote un véhicule et ses camarades perturbent sa course…) et inspirés des grands succès de la firme japonaise (Zelda, Donkey Kong, Metroid…), Nintendo Land est à la Wii U ce que Wii Sports était à sa devancière : une éloquente démonstration de ce qu’elle apporte de vraiment neuf ludiquement. À plusieurs, c’est une révélation. En solo, déjà moins.
New Super Mario Bros U Sur Wii U (Nintendo), environ 60 € Sur Wii, New Super Mario Bros pouvait se jouer à quatre. La version Wii U ajoute un cinquième participant qui, la manette-tablette en main, crée d’une pression du doigt des plates-formes supplémentaires sur l’écran pour aider ou contrecarrer la progression des copains. Au-delà de l’innovation marrante, c’est aussi un vrai nouveau Mario 2D sous l’influence flagrante du mythique Super Mario World (1990), et dont le style cartoon profite pleinement de l’affichage HD. 28.11.2012 les inrockuptibles 77
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Mad Men : le temps du désamour ? Don Draper revient pour une cinquième saison qui semble moins appréciée que les précédentes mais n’en demeure pas moins captivante.
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rûler ce qu’on a aimé en mode radical et instantané se pratique comme un sport mondial, qui touche les séries aussi bien que la politique. De ce point de vue, le cas Mad Men s’avère plutôt intéressant. À ses débuts en 2007, la série sixties de Matthew Weiner était adulée au point qu’elle semblait capable de sauver le monde – ou au moins nos soirées de sériephiles captifs. Son intelligence et sa profondeur faisaient l’unanimité, sa clairvoyance aussi puisque, en auscultant les publicitaires new-yorkais faussement insouciants d’autrefois, Mad Men évoquait en sourdine les souffrances de notre époque. Aujourd’hui, personne ne semble plus vibrer comme avant pour les aventures stylées de Don Draper, le héros délavé. On exagère ? À peine. L’arrivée de la cinquième saison, au printemps dernier, a provoqué un vif intérêt aux États-Unis, mais seulement durant quelques jours, avant que spectateurs et critiques ne commencent à montrer des signes de lassitude. Côté chiffres, cette livraison a souvent fait moins d’audience que sa concurrente Breaking Bad pour la première fois en cinq ans. Les séries les plus importantes du câble américain s’appellent désormais Game of Thrones, The Walking Dead et Homeland, qui a raflé
l’Emmy Award de la meilleure série dramatique en septembre. Le relatif désamour pour Mad Men a pris racine dans un fait a priori sans rapport avec sa qualité. D’interminables discussions budgétaires, entamées à l’issue de la saison 4, ont retardé son retour de plusieurs mois et il a fallu attendre un an et demi avant de retrouver Sterling, Cooper, Joan et les autres. Assez pour développer un sentiment d’abandon. Le créateur Matthew Weiner est ressorti de cette période avec l’image déplorable d’un type capable de tout pour grappiller quelques dollars. Selon certaines sources, d’autres séries de la chaîne ont dû se serrer la ceinture à cause du pont d’or qui lui a été offert. Lui a toujours clamé qu’il négociait dur pour que sa série continue à être produite dans les meilleures conditions… Dès les premières images de cette nouvelle saison, l’évidence est là : Mad Men est consciente d’avoir perdu une part de sa magie. Comme si l’usure naturelle du temps avait rendu ses personnages moins mystérieux, moins déchirants. L’enjeu des treize épisodes ? Retrouver d’une autre manière cette aura effritée. La quête passe en priorité par un travail de transformation de Don Draper, amorcé de manière festive et enlevée dès les premiers instants. Sans révéler les détails de l’intrigue, disons
que l’arrivée d’une nouvelle femme dans sa vie, la troublante Megan, aussi brune et brûlante que Betty était strictement hitchcockienne, change son point de vue sur le monde. Nous sommes en 1966. Sept ans se sont écoulés depuis que la série a ouvert une fenêtre sur la vie de Mister Don, mais sa mélancolie est moins prégnante. Il s’essaie même au bonheur, ce qui, pour certains de ses admirateurs, ressemble à une trahison. Cette mutation paraît étrange mais doit aussi être interprétée comme une prise de risques visant à donner un nouveau ton à une série qui devrait s’achever dans deux ans – tels sont les vœux de Matthew Weiner. Si la réinvention de soi est un art difficile, si quelques flottements durant cette saison légèrement inégale laissent percevoir une inspiration moins exaltée, Mad Men n’est pas subitement devenue superficielle et encore moins mauvaise. Pour preuve, le remarquable enchaînement des épisodes 6 à 9, qui maîtrisent le grand écart entre un trip psychédélique fulgurant et la tragédie. Si le buzz est moins fort, Don Draper et ses acolytes restent captivants. Ce serait dommage de les laisser tomber. Olivier Joyard Mad Men saison 5.Le jeudi, 23 h 15, Canal+
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à suivre… annulations en série Faute d’audience, le couperet tombe sur certaines séries américaines de la rentrée. Après l’annulation de la sitcom Partners par CBS, deux anciens supposés poids lourds vont quitter les écrans sans plus de cérémonie. ABC a confirmé la fin prochaine de l’horrifique 666 Park Avenue et surtout de Last Resort, la série de sousmarin du créateur de The Shield, Shawn Ryan. Ce dernier enchaîne sa troisième annulation prématurée, après Terriers et Chicago Code. On l’embrasse.
House of Cards arrive Ce sera l’un des événements séries de 2013 et il n’aura même pas lieu à la télévision. L’opérateur de VOD Netflix vient d’annoncer que son drame politique House of Cards (dont le pilote a été réalisé par David Fincher) débutera le 1er février. Netflix a également commandé une série à la créatrice de Weeds, une autre à Eli Roth, sans oublier la suite de la comédie Arrested Development, ressuscitée cinq ans après son annulation par la Fox.
Friends, en définitive
Sortie en Blu-ray de la sitcom générationnelle. Au menu, l’intégrale et moult bonus. Un événement. uand, un soir de mai 2004, le 236e et dernier épisode de Friends a été diffusé sur NBC, une certaine idée de la télévision a disparu avec Ross, Rachel, Monica, Phoebe, Chandler et Joey. Même s’il ne faut jamais dire jamais, il semble peu probable que 52 millions de personnes se donnent un jour le mot pour regarder une série en même temps. Qu’on le veuille ou non, Friends a marqué l’histoire du petit écran, avant la fragmentation extrême du public. Par ailleurs, son importance n’est pas Louis se décante seulement une question de chiffres. Pour ceux qui savent que Si quelques brushings et jeans taille haute la série emblématique ont pris un coup de vieux, la sitcom de France 3 existe encore, créée par Marta Kauffman et David Crane précisons que Victor Lanoux reste un modèle d’inventivité comique, vient d’annoncer son intention par sa manière de multiplier les niveaux d’arrêter les tournages de de lecture et sa capacité à passer Louis la brocante après 2013. du burlesque franc, parfois conceptuel, à un rire plus référentiel et générationnel. Certes, Friends n’a pas été géniale pendant dix ans, et on lui préférera toujours la folie de sa quasi-contemporaine Seinfeld. Il n’empêche : la sortie d’une intégrale Newport Beach (June, le 28 à 9 h 40) Après remasterisée en Blu-ray fait figure L.A. Complex et Degrassi, notre nouvelle d’événement, étant donné le travail effectué chaîne teen préférée rediffuse Newport par Warner, digne d’un film important. Beach (The O.C., en VO), l’un des meilleurs Le format de tournage en 16/9e est soaps des années 2000. récupéré (tournée en 35 mm, la série avait été diffusée en format télévisuel carré) L’Amérique en prime time (Arte, et les couleurs revivent, même si l’enjeu le 1er décembre à 22 h 35) Troisième est évidemment moins fort que pour volet d’une série docu américaine, un western de John Ford… consacré aux personnages horsOutre certaines saisons à revoir normes, de Taxi à Freaks and Geeks. absolument – de la cinquième Interventions de Judd Apatow, David Chase, James L. Brooks, Alan Ball… à la huitième, les yeux fermés –, on peut découvrir trois heures de bonus inédits. À voir notamment, le docu When Magic City (OCS Max, le 4 à 20 h 40) Miami, Friends Become Family, qui ouvre années 50. Amour, mafia, soleil, cocktails, les portes de la salle d’écriture. O. J. bizarrerie. Première saison d’un intéressant
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agenda télé
succédané de Mad Men, avec Olga Kurylenko en cerise sur le daïquiri.
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Melody du bonheur Avec son album pop et psychédélique, la Française Melody Prochet, tête pensante et cœur sensible de Melody’s Echo Chamber, touche la félicité du doigt. La blogosphère n’a d’oreilles que pour elle.
E Ecoutez les albums de la semaine sur
avec
trange malentendu. Il y a quelques mois, au hasard de navigations nocturnes, on tombe sur un morceau de Melody’s Echo Chamber sur des blogs américains, des sites de référence, sur ceux du Guardian ou du NME. On trouve instantanément dans cette parfaite inconnue une belle héritière à Broadcast, bien plus envoûtante que les derniers Blonde Redhead, une Margo Guryan passée par l’acide des crises modernes (seuls les insensibles resteront de marbre). On imagine l’auteur de ce morceau vivant quelque part à Brooklyn, dans les faubourg de Londres, sur la West Coast… Tout faux. On a sans doute croisé la Française Melody Prochet une douzaine de fois à Paris, où elle vit : au Motel, le bar
pop où elle a ses habitudes, à des concerts de Spiritualized, des Strokes, de Radiohead, groupes adorés, à des expositions de peintres expressionnistes, notamment Marianne von Werefkin, qu’elle cite comme influence première. Il aura donc fallu une lumière venue de l’étranger pour que l’on découvre, ahuri, ce joyau hexagonal. Un joyau dont l’histoire débute pourtant loin de tout. La jeune fille passe son enfance et son adolescence à Puyricard, en Provence. “Une église, un supermarché, c’est tout. C’était évidemment un peu difficile ; pas encore d’accès à internet, pas de bonne radio, pas de salle de concerts à Aix-en-Provence.” Heureusement, Melody fera douze ans de Conservatoire, qui ont profondément marqué sa pensée musicale. “J’ai eu des horaires scolaires aménagés,
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on connaît la chanson
un bel inconnu
Diane Sagnier
“le beau seul, je trouve ça ennuyeux. Y ajouter quelque chose de dégueulasse le fait ressortir”
je passais mes après-midi là-bas quand les autres allaient faire la fête… Mais je ne regrette rien : j’ai ressenti les émotions les plus intenses de ma vie en jouant dans un orchestre symphonique. C’est peut-être quelque chose que je recherche encore dans ce que je fais aujourd’hui. Je me souviens, après un concert, de descendre un escalier, les joues roses, totalement prise par ce que j’avais vécu… Un projet solo est évidemment différent ; mais je n’ai jamais vraiment été solitaire, j’ai toujours adoré collaborer avec des gens. Je m’ennuie quand je suis seule.” Melody’s Echo Chamber, qui fait suite à un premier projet quelque peu resté dans la pénombre, My Bee’s Garden, est certes la chose de Prochet mais n’est pourtant pas une aventure solitaire. Si le magnifique premier album de la Française fait tant parler de lui, c’est aussi parce qu’il a été coréalisé par Kevin Parker, garçon responsable de l’un des grands disques de l’année, imposante cathédrale psyché-pop, le Lonerism de ses acolystes australiens de Tame Impala. “Mon savoir initial, j’ai dû le détruire, et dans le même temps en garder l’essence. J’aime les belles mélodies, les beaux accords, mais j’essaie de trouver
un lien entre ce classicisme et un son plus sale, décomposé. Le beau seul, je trouve ça ennuyeux. Y ajouter quelque chose de dégueulasse le fait ressortir bien plus. Collaborer avec Kevin était parfait : il m’a aidé à tout démolir et à tout reconstruire, avec de nouvelles bases. Nous étions deux opposés complémentaires.” Enregistré en partie à Perth et en partie à Puyricard, Melody’s Echo Chamber est précisément ce pont parfait entre la beauté instantanée et radieuse de mélodies qui semblent chuter directement des étoiles et une mise en son acide, psychédélique, chercheuse, une expérimentation discrète qui les teinte d’étrangeté comme de force, de nouveauté comme d’effets psychotropes. Les belles I Follow You, Crystallized, Some Time Alone, Alone, la très bien nommée Bisou magique, le petit tube âpre Endless Shore, par leurs incalculables ambivalences, leurs horizons variables, leurs géométries incertaines, font ainsi voyager les esprits de la naïveté adolescente aux sensualités plus adultes, des sensations du froid absolu au chaud des astres. “J’ai lu quelque chose qui explique qu’on chante pour faire naître de l’empathie chez les autres, partager des joies et des peines, et sortir de son ‘Moi exigu’ : j’ai trouvé ça très vrai. Ce que j’essaie de faire, c’est chanter et enregistrer mes rêves de bonheur.” Les nôtres lui disent merci. Thomas Burgel album Melody’s Echo Chamber (Domino/Pias) melosechochamber.tumblr.com en écoute sur lesinrocks.com avec
En 1977, des disciples de Brian Eno sortent un album de musique ambient. On le réédite aujourd’hui mais on ne connaît toujours pas ses auteurs ! Quand j’ai commencé le beau métier de journaliste musical, internet n’existait pas. Je tapais mes articles sur une machine à écrire et les envoyais au journal par fax. Les disques arrivaient par la poste, parfois accompagnés d’un communiqué de presse. Pour avoir plus d’infos sur un groupe, il fallait lire les fanzines, aller chez le disquaire, connaître plus mélomane que soi, passer des coups de fil ou, surtout, s’en remettre à son imagination plutôt qu’aux faits. La préhistoire du monde d’aujourd’hui, où toute l’histoire du rock, du moindre détail à la grande fresque, est disponible à portée de clic, passée au peigne fin d’internet. Et puis arrive l’album de Mad Music Inc. Une réédition, envoyée par un beau label respectable, Drag City. On l’écoute, sans a priori, et on plane : une merveilleuse musique ambient instrumentale (piano, flûte, sons concrets), comme du coulis de krautrock, du jazz aquarelliste dans la Voie lactée ou la BO d’un documentaire sur le vent. Les onze pistes ne sont pas titrées. Bien sûr, on se jette sur internet pour en savoir plus. Et là, c’est le grand blanc. Sur des sites de collectionneurs, on apprend que le disque original de Mad Music Inc. est un pressage privé sorti en 1977 du côté de Boston. Rien de plus, aucune info sur les musiciens à l’origine du projet, le pourquoi du comment. Le site de Drag City indique que ceux qui savent ne diront rien. L’enchantement de la musique est amplifié par le mystère de son origine. Comme quand on achetait des disques sans en savoir plus, avant l’aliénation de la surinformation. Seul face à une musique pure comme un rêve, qui flotte au-dessus de ce qu’on pourrait en dire. Et c’est le bonheur. Mad Music Inc. (Drag City/Modulor)
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Renaud Monfourny
du rab de Foals Pour les déçus qui n’ont pas eu de places pour le concert parisien du groupe mi-décembre, complet en quelques minutes, la troupe de Yannis Philippakis vient d’ajouter des dates françaises à sa longue tournée 2013. Pour fêter la sortie de son troisième album, Holy Fire, prévue en février, Foals s’arrêtera à Lyon et à Lille les 23 et 26 mars, avec, entre les deux, un passage à l’Olympia le 25.
Damon Albarn fête les 90 ans de la BBC Pour l’anniversaire de la BBC, l’ex-actuel Blur a réalisé un montage audio constitué d’extraits de messages envoyés par les auditeurs, surtout des enfants, à l’époque de la création de la radio, expliquant leurs espoirs et leurs rêves pour le futur, mais aussi d’archives d’anciennes émissions, du son de Big Ben et de bruits d’un satellite espion pendant la guerre froide. Intitulé 2LO Calling, le morceau de trois minutes est en téléchargement sur le site de la BBC. downloads.bbc.co.uk/podcasts/radio/_ood/calling_damon/ calling_damon_20121114-1447.mp3
cette semaine
Of Montreal en documentaire Les Américains viennent de lancer une campagne Kickstarter afin de récolter des donations pour finir le tournage d’un long documentaire sur leur carrière. Intitulé Song Dynasties, le film, réalisé par Jason Miller, retracera l’histoire d’Of Montreal depuis ses débuts au sein de la scène d’Athens, en Géorgie, jusqu’à aujourd’hui. Contre quelques poignées de dollars, on peut, jusqu’au 12 décembre, y contribuer et repartir avec des vinyles inédits, des bons de téléchargement ou même une tenue de scène portée par Kevin Barnes. Beurk. www.kickstarter.com
Django Django débarque dans l’Hexagone pour quatre concerts prévus cette semaine. Les Irlando-Écossais seront à Lyon jeudi soir avant d’enchaîner avec La Rochelle et Rennes vendredi et samedi. Le groupe conclura sa minitournée française le 3 décembre à Paris, sur la scène du Trianon. le 29 novembre à Lyon, le 30 à La Rochelle, le 1er décembre à Rennes, le 3 à Paris (Trianon), www.djangodjango.co.uk
Christine Salem
Moriarty fait du maloya avec Christine Salem Moriarty a attrapé le virus du maloya – le folk de La Réunion – il y a quelques années. Du coup, après s’y être frotté en live, le groupe a enregistré avec Christine Salem, grande voix du genre. Belle réussite à découvrir fin janvier 2013 sur le nouvel album de Christine Salem, et en décembre sur scène pour une grosse tournée en commun (dont le 8 décembre au festival Africolor). www.christinesalem.com
neuf
John Lennon Metro Zu
Sky Ferreira On devrait très vite reparler de l’Américaine Sky Ferreira, mannequin de 19 ans adoubée par la peste Shirley Manson de Garbage ou Lightspeed Champion, qui compose pour elle. On parlera surtout d’abord de sa pop qui, sous ses airs innocents dissémine un trouble poison. FM, mais pas fatalement éphémère. www.skyferreira.com
Valérie Koch
Patrick Heagney
Django Django en France
Ça se passe à Miami. En téléchargement sur le Soundcloud du groupe, la mixtape de Metro Zu fait monter la température et fumer les strings : hip-hop languide aux paroles drôles et consternantes – en bien. Pour danser cette mixtape, le lit est le meilleur dance-floor. www.facebook.com/metrozu
Joni Mitchell Cadeau de Noël idéal : les dix premiers albums de Joni Mitchell (1968 à 1979), réunis dans un coffret (chez Rhino). L’occasion de replonger dans les chefs-d’œuvre de la Canadienne : Blue, Ladies of the Canyon, Court and Spark… Si vous êtes amis avec Feist, Cat Power, Keren Ann ou Suzanne Vega, pas la peine de leur offrir : elles le connaissent par cœur. www.jonimitchell.com
Pour les fans : Les Lettres de John Lennon, un gros livre qui regroupe des correspondances très bien éditées, illustrées et commentées. Un milliard de documents souvent inédits, remontant au début des années 50, qui dessinent un portrait rare et intime. Lennon lu de l’intérieur (JC Lattès, 25 €) www.johnlennon.com
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aux sources du Nile
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chaque réédition, à chaque prétexte, on reprend le bâton de pèlerin : le secret Blue Nile est trop lourd à porter pour le confiner à sa seule secte d’idolâtres. Méconnus, voire inexistants en France, les Écossais possèdent comme Talk Talk, autre groupe très rare, leurs dévots, certains même obsédés à vie par leurs deux premiers albums, publiés en 1984 et 1989, aujourd’hui très richement réédités. On a ainsi reparlé de Blue Nile cette année, de cette
des palais délabrés, merveilleux labyrinthes dans lesquels on se perd encore avec ivresse
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Tony Barratt
Réédition de deux trésors de la pop atmosphérique signés des maîtres ès-frissons The Blue Nile. manière inouïe d’imbriquer Mahler et Marvin Gaye, à l’occasion d’un album du chanteur et fondateur du groupe, l’économe Paul Buchanan. On en parle souvent à des artistes nettement plus jeunes que lui, des dizaines de groupes, directement, profondément influencés par The Blue Nile. Sauf qu’eux-mêmes ne le savent pas encore, pensant défricher une jungle vierge alors que les Écossais y avaient déjà bâti des palais délabrés, merveilleux labyrinthes dans lesquels on se perd encore avec ivresse, dans le plus délicieux détachement. Pour ne citer qu’eux, James Blake, Sigur Rós ou Cascadeur sont ainsi les héritiers de cette manière
patiente et langoureuse de défaire le canevas pop, de réduire la mélodie à un geste aussi méthodique que flâneur, de ralentir le pouls en un écho lointain, étouffé. Largement suggestive, laconique, ennemie des additions et surlignages, la pop-music ankylosée de Blue Nile ne fait qu’une partie, prodigieuse, du travail : en deux allusions, trois silences et un refrain déchirant, elle offre les points fondamentaux d’un film, que l’imagination, en surmenage, reliera ensuite entre eux. Pas encore parvenu à l’épure absolue du masterpiece Hats, le premier album A Walk Across the Rooftops offre ainsi par instantanés une visite fantomatique de Glasgow,
où les angles et les tensions sont patiemment gommés par des mélodies-baumes. Le temps s’allonge déjà, les silences s’immiscent en un travail d’élimination et d’éclaircissement que Hats, cinq ans plus tard, élèvera au rang d’art majeur. Rarement, dans toute l’histoire de la pop, tendresse et rigueur, romantisme et maniaquerie auront cohabité en une telle osmose que sur Hats. Chef-d’œuvre de pop farouchement adulte, cet album plein et intense est enfin remasterisé à sa hauteur – pour l’anecdote, le groupe avait alors été signé par un fabriquant de matériel hi-fi de luxe, navré de la piètre qualité sonore de la pop-music des années 80. Ce traitement sonique redonne toute leur ampleur à ces chansons si proches du murmure, du souffle, de l’extinction des feux. Rien de mal ne peut vous arriver pendant que vous écoutez Hats, album suprême d’abandon et de rêverie. JD Beauvallet réédition A Walk Across the Rooftops réédition Hats éditions collector (Virgin/Emi) paulbuchanan.com en écoute sur lesinrocks.com avec
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saoul brother On découvre les insensés Meridian Brothers, faux groupe mais projet solo et loco du Colombien Eblis Álvarez. Attention, génie.
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eaucoup de gens me posent la question, mais la réponse est non : je ne prends pas de drogues.” Bizarre, on aurait juré le contraire. D’abord – attention cliché – parce qu’Eblis Álvarez est colombien. Mais surtout parce que la musique de son groupe, les Meridian Brothers, a franchi la ligne blanche. Déjà, et c’est subversif par temps sociétal couvert, elle donne envie de rire, jusqu’à la crampe, jusqu’à la crise, sans qu’on sache vraiment pourquoi, ni comment s’arrêter, ni pourquoi on devrait s’arrêter alors qu’on n’avait pas autant ri depuis les Residents, Devo ou le Beck des années 90 (qu’Eblis adore). Sont-ce ces sons et ces voix trafiqués, qui évoquent des vinyles gondolés par une exposition prolongée au soleil, puis joués à la mauvaise vitesse ? Est-ce la façon dont Eblis Álvarez réinterprète les rythmes latinos, cumbia et salsa, comme des grains de maïs transgénique lâchés dans un four à micro-ondes ? Sont-ce les thèmes de ses chansons – ici, un zombie pourchassé par des vautours heureux ; là, des extraterrestres ; ailleurs, un refrain culotté qui fait “je n’ai pas de pantalon, je n’ai pas de pantalon” ? Est-ce parce qu’on a essayé de danser là-dessus et qu’on s’est retrouvé bras et jambes emmêlés ? Electropicalisme, psychotropicalisme, dadaïsme latino, exotica hallucinogène,
musiques traditionnelles poussées dans les joyeux confins de l’idiotie, de l’excentricité et de l’avant-garde : on en rêvait, les Meridian Brothers (dont Desesperanza est le quatrième album) le font. Eblis Álvarez vit à Bogotá. On a fait une interview par écrit, et l’un des mots qui revient le plus dans ses réponses est “expérience”. Eblis Álvarez n’est pas un petit rigolo, plutôt un savant foufou. Au Conservatoire national dès l’âge de 8 ans, multi-instrumentiste à 13, il a étudié la guitare classique à l’université et a vécu au Danemark entre 2002 et 2007, où il était compositeur de musique classique et contemporaine, investi dans la musique sérieuse (il a même été chanteur de temple protestant). Puis il est rentré en Colombie. Les Meridian Brothers (dont il est le membre unique) est son projet le plus ancien – en activité paranormale depuis 1998. “C’est un terrain de jeu pour mes idées, mon laboratoire personnel, là où j’exerce mes expériences les plus osées. Au début, je n’avais pas d’objectif : j’ai écouté
cette musique donne envie de rire, jusqu’à la crampe, jusqu’à la crise, sans qu’on sache pourquoi
ce que je faisais et j’ai ri. Aujourd’hui encore, c’est comme ça que je sais qu’un morceau est bon : quand je me jette à terre et que je me tords de rire en l’écoutant. Sérieusement. Tu peux me comparer aux Residents ou à Devo, mais je crois que le côté tordu de ma musique vient plus de certains musiciens des tropiques des années 70.” Un continent musical à découvrir, à surveiller. Car l’excentricité et l’inventivité insensée qu’on entend dans Desesperanza sont aussi des signes, la preuve que la meilleure musique, toutes catégories confondues, n’est plus réservée à l’Europe ou aux États-Unis. Activiste de l’underground colombien, Eblis Álvarez est aussi membre du groupe Frente Cumbiero et guitariste dans un génial projet de rock instrumental latino post-beefheartien, genre de math-rock brutal où un et un font trois. Le groupe s’appelle Los Pirañas, l’album Toma tu jabón kapax sort ces jours-ci en Europe. Et comme celui des Meridian Brothers, il va vous bouffer le cerveau. Stéphane Deschamps album Meridian Brothers Desesperanza (Soundway/Differ-ant) en écoute sur lesinrocks.com avec album Los Pirañas Toma tu jabón kapax (Vampisoul/Differ-ant) www.meridianbrothers.com
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Smoking Smoking
Christina M. Hicks
It’s All about Love Jo & Co
Mac DeMarco 2 Captured tracks/Differ-ant Depuis le Canada, une ode à la paresse en mode lo-fi. oyons désinvoltes, n’ayons sur un ep hésitant (Rock and Roll l’air de rien.” Mac DeMarco Night Club), le voici aujourd’hui aurait pu faire sienne métamorphosé, songwriter sûr de cette maxime bien connue. son fait, parolier plein d’esprit et Du haut de ses 22 ans, guitariste acrobate. Même lifting arborant fièrement casquette rétro côté vocalises qui, sans le moindre et chemise de bûcheron, effort, prennent de la hauteur le Montréalais traîne sa voix pour mieux conter des histoires et sa moue romantiques. Mais cabossées d’amour, de famille attention au trompe-l’œil : derrière ou tout simplement de cigarettes. l’apparente nonchalance se Attention, addiction. Emmanuel Guinot cache un personnage plus profond et complexe. Six mois après s’être rêvé crooner androgyne macdemarco.bandcamp.com
George Bird
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Cool Rainbows Whale Rocket Lil’Chief Records/Wall StreetArtists La pop de coloristes néo-zélandais, faussement angélique et réellement perturbée. ls s’appellent Cool sommes en NouvelleRainbows et il existe Zélande, où l’on peut cueillir une raison toute simple le psychédélisme dans les à ce nom : leur pop bois, garanti bio et balèze. est cool et colorée comme Comme beaucoup un arc-en-ciel. Avec des de guitaristes tourmentés couleurs inédites, car nous du pays, leur leader
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Djeisan Suskov a visiblement grandi avec les saintes écritures américaines – des Beach Boys au Velvet – ou plutôt leurs transcriptions, hasardeuses et sublimes, par quelques copistes locaux, comme les Chills ou Chris Knox. En résulte une pop à la fois sereine et viciée, qui semble faire une sieste bienheureuse mais reste agitée de convulsions, comme sur les traîtres Fake Tattoos ou Whale Rocket. JD Beauvallet www.facebook.com/ coolrainbows
Deux filles, un piano et onze ballades en noir et blanc. Partageant le même goût pour le lyrisme de PJ Harvey et le cinéma de Cassavetes, deux Françaises ont formé Smoking Smoking. Protégé d’Aaron, qu’il a accompagné en tournée, le duo a coutume de jouer du piano debout – c’est peut-être un détail pour vous –, des ballades en noir et blanc à la Fiona Apple, histoires d’amour bancales qu’elles enrobent de cuivres (Don’t Let Me down) ou de rythmiques tribales (In Circles). Avec sa mélodie adhésive, le single Are We Lucky? devrait quant à lui garantir à Smoking Smoking un succès en radio digne de celui de ses amis d’Aaron. Johanna Seban www.myspace.com/ smokingsmoking en écoute sur lesinrocks.com avec
Tue-Loup 9 Dessous de scène/Socadisc Troublé et mélancolique, le rock de ces Sarthois annonce l’orage. Dans la Sarthe, Tue-Loup cultive le rock mélancolique comme le fait Calexico en Amérique : avec poésie, patience et mélancolie. Sur son nouvel album 9, le groupe formé autour du tandem Xavier Plumas/ Thierry Plouze continue de jouer la musique des grands espaces et des ciels menaçants. On y entend le vent (Jouvence), des histoires de filles (Margot), des pianos à la Lambchop croisant des guitares fâchées (Mark-Mark), le calme après la tempête (Marinette). À peine passé ou à venir, chaque morceau laisse penser que l’orage est proche. J. S. www.tue-loup.com/ en écoute sur lesinrocks.com avec
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Mark Maggiori
Lilly Wood & The Prick The Fight Cinq7/Wagram Les Parisiens reviennent : moins bricolos, moins personnels, plus universels. n ne change pas une équipe Leur nuancier mélodique qui gagne à être connue. et leurs contes pour adultes, jadis Après un premier album parfois monochromes, prennent vainqueur aux points désormais leurs aises, sautillant (Victoire de la musique, catégorie des dance-floors (Middle révélation, en 2011) et des of the Night, soutenu par une concerts hexagonaux plébiscités épatante basse charnue) aux bains pour parfaire le maillage, de soleil d’une pop angelena et le duo enfile de nouveau les gants. mélancolique, où croise le spectre Mais sa pop poids mouche, de Debbie Harry, en passant par le bricolée souvent avec classe, laisse clair-obscur vaporeux de quelques désormais place à une musique belles ballades immobiles. Le tout plus fervente et prégnante, même reflète un enjouement navré très si méticuleusement agencée, personnel, qu’on leur souhaite à comme un salut ultime à l’enfance usage planétaire. Christian Larrède enfuie. Comme Nili et Ben sont aussi des jeunes gens www.lillywoodandtheprick.com de goût, ils rendent ici hommage en écoute sur lesinrocks.com avec à Joni Mitchell.
O
Vinícius Cantuária Indio de apartamento Naïve Album de deuil par l’homme qui ne sourit jamais. Magnifique. Après avoir l’an passé adjoint une brigade Son sublime duo avec versé quelques brillantes brésilienne, pour une Jesse Harris (This Time, tube Lagrimas mexicanas synthèse de deux mondes, potentiel du crépuscule), en compagnie du guitariste de deux esthétiques. par sa retenue, son émotion Bill Frisell (encore Il fait son affaire d’une et sa sophistication, présent ici), le Brésilien qui quadrature du cercle apparaît alors comme ne sourit jamais offre mêlant guitare acoustique la parfaite antithèse un album dédié à sa mère et piano, emperlés de l’époque. Un classique récemment disparue. aux machines de studio. instantané. C. L. Pureté minimaliste et En un frissonnement de élégante pudeur. L’homme cordes vocales, le chanteur www.vinicius.com invite Norah Jones ou dépeint un monde et en écoute sur lesinrocks.com avec Ryuichi Sakamoto, et leur son chapelet d’émotions. 88 les inrockuptibles 28.11.2012
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Le Réveil Des Tropiques Music Fear Satan/Season Of Mist
Possédé, du free-rock qui fait sauter le compteur électrique. Faute de mieux, on avait dans les années 90 appelé “post-rock” un rock épris d’espaces, d’outrepassement, de fugue cosmique. Il cadenassait ses rythmiques en un beat qui se tapait la tête contre les murs pour mieux laisser les guitares divaguer, parler au ciel et zigzaguer, hagardes. Cette façon de défaire du rock tourna vite à la formule, la liberté à l’uniforme. Défroqués du rock, mais aussi de formations qui avaient attaqué ses fondations à l’électricité outrancière (dont les géniaux Ulan Bator), les garçons du Réveil Des Tropiques poussent plus loin encore leur dialogue avec le bruit et le chaos, déconstruisant leurs mantras en une furie de faux calmes et d’orages, improvisant un free-rock onirique, qui se tord, s’offusque, s’exaspère mais jamais ne tombe dans la formule. Eux citent Pink Floyd, Can ou Sonic Youth en sainte trinité de cette bacchanale. C’est encore plus orgiaque que ça. JD Beauvallet www.facebook.com/ lereveildestropiques
G3J Editions
Le Réveil Des Tropiques
livre Mémoires de ma vie de gangster et de ma rédemption, de South Central à Hollywood de Ice-T (avec Douglas Century) G3J Éditions, 242 pages, 25 €
Scarface avec un happy end ? L’autobio à rebondissements du rappeur Ice-T. our les punks, il est le frontman de Body Count, responsable du controversé Cop Killer. Pour les rappeurs, il est l’auteur de 6 in the Mornin’, acte fondateur du gangsta-rap, et d’un paquet d’albums de la même trempe. Et pour nos mamans, il est le flic sévère de la série New York unité spéciale. Avant cela, il était surtout connu des services de police pour ses braquages de bijouteries. Dans son autobiographie, Tracey “Ice-T” Marrow épluche cette carrière touffue jonchée de coups de flingues et de hits gangsta, de putes et de disques d’or : affiliation aux gangs et service militaire, anecdotes grinçantes et récits de braquages, lyrics sanglants et Amérique puritaine. En dépit de passages longuets sur la morale cheap d’un bandit reconverti, Ice-T glisse quelques beaux chapitres sur la manière dont un maquereau doit gérer ses filles, dont on dépouille une bijouterie, dont les gangs s’approprient les quartiers, les lycées. Ouvert par une excellente préface de Stéphanie Binet, qui replace le lascar dans sa ville et son époque, Mémoires… est un voyage de haute classe dans le L. A. des 90’s, sous la plume humble d’un bonhomme passé par la galère, les disques d’or et les millions de dollars, qu’on retrouve donc aujourd’hui chaque lundi soir sur TF1. Étonnant. Thomas Blondeau
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le single de la semaine O Safari
The Beatles Intégrale vinyles (coffret 16 lp + livre) EMI Le catalogue le plus juteux au monde refait un magical (33) tour de piste. inévitable que paraisse un coffret de 33t ’est un homme entre deux âges au look de teenager qui nous reçoit aux équivalent à celui des CD il y a trois ans. L’affable Sean Magee a donc supervisé studios Abbey Road pour une écoute dans les moindres détails cette nouvelle en avant-première des vinyles des vague de vinyles pressés d’après Beatles. Au détour d’une longue et parfois les remasterisations de 2009 (ce qui fera fastidieuse explication technique sur le forcément bramer les puristes), dans mode de transfert du digital à l’analogique un studio grand comme une chambre d’ado, ou sur le choix de la laque ayant servi pourvu toutefois d’un système d’écoute à la matrice de ces nouvelles éditions, digne des plus grands auditoriums. il glisse le chiffre qui tue : 22 millions. À l’écoute du résultat, évidemment, Il s’agit du nombre de CD des Beatles on est émerveillé par la finesse et vendus à travers le monde depuis la précision du rendu, même si personne la remasterisation du catalogue en 2009. n’entendra les Beatles de cette façon Sean Magee et cinq de ses collègues chez lui. Restent les objets, reproduits là ingénieurs du son, sous la direction encore avec soin, avec tout leur appareillage d’Allan Rouse, sont donc un poids économique considérable à l’échelle d’EMI, fétichiste : les figurines à découper de Sgt. Pepper, le comic book de Magical dont la vente récente à Universal s’est Mystery Tour, le poster et les photos des négociée essentiellement autour du joyau quatre Beatles insérés dans le White Album, de la Couronne que constitue le catalogue le dépouillement monacal d’Abbey Road. des Fab Four. Le revival du vinyle Mais le plus impressionnant, justifiant battant son plein et l’album Abbey Road à lui seul l’investissement, c’est encore le était le disque le plus vendu l’an dernier livre d’art conçu uniquement pour le coffret, sur ce support aux États-Unis, il était qui met en scène chaque album et propose des photos jamais ou très rarement vues, jouant sur les textures visuelles avec autant d’inventivité que les Beatles eux-mêmes jouaient avec les textures sonores.
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Christophe Conte www.thebeatles.com
Les nouveaux héros de la pop rennaise, bientôt aux Trans. Taxi comme dans Taxi Girl. Safari comme dans Moon Safari de Air. Et s’il fallait encore d’autres indices de l’appartenance de ce groupe rennais à une certaine idée d’exception française, on rajoutera l’esprit filou Dutronc, dont ils reprennent Il est cinq heures, Paris s’éveille et à qui ils ont emprunté le titre Fais pas ci, fais pas ça pour leur maison de production. Beaucoup de références, mais peu de déférence : c’est avec une légèreté et une insolence adolescentes que le duo part, sabre en avant, dans une electro-pop audacieuse jusqu’au grandiloquent. Car si le groupe a remixé le Ambitions de ses copains Juveniles, il en a surtout gardé le titre comme mantra. Ambitieuse déjà malgré ses maladresses, sa pop n’hésite pas à jouer effrontément, résolument, ouvertement, hum, pop. On ne parle pas ici d’indie-pop mais de pop-music, ce truc infernal et couillon qui fait danser les filles, tourner les autotamponneuses et chavirer les cœurs d’artichaut (de Bretagne). JD Beauvallet concerts le 7 décembre à Rennes (Transmusicales), le 12 à Paris (Point Éphémère) www.lesinrockslab.com/ o-safari
Loïg Nguyen
Apple Corps Ltd
Taxi ep Osafari.net
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Various artists Orient Noir – A West-Eastern Divan Piranha/L’Autre distribution
Paul Banks Le rock sombre et tendu du leader d’Interpol ouvre les fenêtres. ’était mal parti. La première échappée de Paul Banks, masquée derrière son nom de plume Julian Plenti, avait laissé en 2009 une impression mitigée. Quelle conclusion tirer de ce retour à visage découvert ? Difficile à dire encore cette fois-ci tant ce deuxième album ressasse un spleen et des obsessions musicales connus (Over My Shoulder), le baryton unique du New-Yorkais constituant sa principale carte de visite. Reste la volonté notable et louable de varier les atmosphères (Lisbon), de faire entrer la lumière (I’ll Sue You)
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Helena Christensen
Banks Matador/Beggars/Naïve
et de densifier les compositions à grands renforts d’orchestrations et d’arrangements plus ou moins inspirés (Paid for That). Droit dans ses bottes, Banks, pour autant, ne déconcertera pas les aficionados d’Interpol. Pour preuve, le recours à la production appliquée de Peter Katis, responsable des deux premiers albums du quartet, miroir malgré lui de l’absence cruelle d’une section rythmique d’exception. Emmanuel Guinot bankspaulbanks.com en écoute sur lesinrocks.com avec
Chicha chic : joli trip dans les langueurs et mélodies orientales. Noir c’est noir, il y a toujours de l’espoir. Un an après l’inspirée compile Brass Noir, bande-son de la route des Balkans, le label allemand Piranha met le cap sur le MoyenOrient. Le voyage est ouvert (on y croise même des New-Yorkais, des Marseillais, un Serbe et une chanteuse de Zanzibar). L’Orient comme influence, confluence fantasmée, sans frontières, religion, ni kitsch. La qualité des morceaux prime ici sur l’origine contrôlée. Un genre de compile tapis (trans) persan et volant, très haut. Stéphane Deschamps www.piranha.de en écoute sur lesinrocks.com avec
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Iain & Jane
Scott Walker a définitivement tourné le dos à la pop
et Scott inventa le paradis Partant de l’observation d’un tableau flamand du XVIe siècle, Scott Walker conduit son entreprise de déconstruction de la pop au sublime.
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u musée du Prado, à Madrid, on distribue aux visiteurs une feuille de route recensant une trentaine d’œuvres “à ne pas manquer”. Une proposition un peu cynique qui peut transformer la visite en un jeu de piste où le spectateur ne reste pas plus de trois minutes devant un tableau, le temps de cocher la case correspondante dans le fascicule. Qui se prête à la manœuvre ne peut voir, au mieux, dans le Jardin des délices terrestres de Hieronymus Bosch, qu’un triptyque foutraque représentant assez classiquement le paradis et l’enfer articulés autour des plaisirs de la vie terrestre. Des quatre sublimes albums solo des sixties à la fin indigne des Walker Brothers, Scott Walker a luimême vécu assez de vies, de délices, et traversé trop d’enfers pour ne pas voir
une mythologie où se côtoient l’antique royaume de Scythie et la hula hawaïenne
que, dès le premier volet du tableau, surgissent de sombres chimères de la source d’Éden. Le Jardin des délices terrestres est une œuvre complexe et morale où les instincts hédonistes de l’homme le lient endémiquement au vice et le mènent aux souffrances éternelles. Pourtant, peut-être du fait des quelque cinq cents ans qui nous séparent de sa création, on ne peut s’empêcher d’y voir une forme d’humour qui nous renvoie aux Idées noires de Franquin. Ce tableau est la matière première de Bish Bosch, sans pour autant que celui-ci en soit l’illustration. Bish Bosch est à entendre non pas comme un concept album, mais comme un disque qui se déploie autour de principes matriciels. Scott Walker n’y raconte pas le foisonnement de saynètes éparpillées où les hommes, mêlés aux créatures grotesques, se ridiculisent et subissent des outrages. Il fabrique un univers architecturalement synchrone. Ses incantations psalmodiques fracassées
sur des exclamations insensées frisant la poésie beat, ses basses caverneuses tapissées de claviers malsains, ses guitares terroristes empruntées aux formes de metal les plus radicales, ses percussions à la fois rituelles et martiales, ses bruits de bouche parfois grossiers et ses angoissantes plages de silence établissent le corpus d’une mythologie où se côtoient l’antique royaume de Scythie et les danseuses de hula hawaïenne, Attila, Saint-Simon, des corps astronomiques doués de parole, Ceausescu et Didier Drogba. C’est à la fois solennel et orgiaque, hilarant et pétrifiant. Monstrueux et superbe. Bish Bosch est son douzième album solo, mais surtout le quatrième depuis Climate of Hunter et l’amorce d’un processus déconstructif qui dévoile ici son Everest. Si l’on ne peut nier sa difficulté d’accès, Bish Bosch occupe une place éminemment cohérente dans la discographie de l’artiste. Depuis plus de vingt-cinq ans, Scott Walker
travaille méthodiquement à l’éradication de toutes les traces de pop de son environnement, dans la coordination mélodique, la conception orchestrale, la progression rythmique… Une entreprise qui avait mené en 2006 à la présentation d’une esthétique redéfinie, mise en scène sur le monument de noirceur qu’était The Drift. Parce qu’il emploie ces acquis au service d’une ultime destructuration, Bish Bosch en est la suite et le point d’orgue. Une remise en question de la chanson même, comprise ici non plus comme une entité de sens et de composition unitaire mais comme un découpage défini presque arbitrairement au sein d’un album qui, au contraire, apparaît comme un tout homogène mais pénétrable par n’importe quelle entrée. Il faut être l’homme le plus libre du monde pour composer un disque pareil. Nicolas Chapelle album Bish Bosch (4AD/Beggars/Naïve) www.bishbosch.com
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dès cette semaine
Festival Africolor jusqu’au 24/12 en SeineSaint-Denis
Baloji 8/12 Rennes, 21/12 Aulnaysous-Bois Band Of Gypsies 7/12 Reims Beach House 22/3 Paris, Cigale John Cale 8/2 Marseille, 9/2 Dijon, 12/2 Paris, Trabendo, 14/2 Angoulême Chapelier Fou 7/12 Annecy
Peter Hook 17/12 Paris, Trabendo
Maïa Vidal 12/4 Bayonne
Django Django 29/11 Lyon, 30/11 La Rochelle, 1/12 Rennes, 3/12 Paris, Trianon
Yan Wagner 14/12 Paris, Social Club The xx 18/12 Paris, 104 Yo La Tengo 18/3 Paris, Bataclan
aftershow
Lescop 29/11 Besançon, 30/11 Strasbourg, 8/12 Limoges, 14/12 Lyon
Hugh Coltman 7/12 Valence, 19/12 Lyon, 20/12 Fontaine
Disclosure 26/3 Paris, Nouveau Casino
Transmusicales du 6 au 8/12 à Rennes, avec Lianne La Havas, Black Strobe, Lou Doillon, Mermonte, Fránçois And The Atlas Mountains, TNGHT, etc.
Two Door Cinema Club 11/3 Toulouse, 12/3 Rennes, 13/3 Lille
Nina Kraviz 22/12 Paris, Social Club
Lunice 7/12 Paris, Social Club
DIIV 3/12 Paris, Nouveau Casino
Two Dragons, Holograms, BRNS, etc.
Kas Product 28/11 Nantes, 30/11 Lyon
The Civil Wars 29/11 Paris, Point Éphémère
Lana Del Rey 27 & 28/4 Paris, Olympia
Sporto Kantès 15/2 Paris, Trianon
Tournée Europavox du 16 au 21/1 à Angers, Clermont, Bordeaux, Dijon, Nancy, Paris, Reims, La Rochelle, Sannois, Tourcoing et Villeurbanne, avec Great Mountain Fire, Ewert And The
en location
Jil Is Lucky 29/11 Paris, Flèche d’Or
Chassol 13/12 Paris, 104
Dark Dark Dark 2/12 Paris, Maroquinerie
Skip&Die 1/3 Paris, Machine
Hyphen Hyphen 1/12 Sannois, 7/12 Saint-Brieuc, 8/12 Dunkerque
Theophilus London 15/12 Paris, Nouveau Casino
The Dandy Warhols 29/11 Paris, Trianon, 30/11 Mulhouse, 1/12 Besançon, 3/12 Toulouse, 4/12 Bordeaux, 5/12 ClermontFerrand
Prince Rama 30/11 Paris, Espace B
Eugene McGuinness 29/1 Lille, 30/1 Angers, 1/2 Nantes, 2/2 Bordeaux, 3/2 La Rochelle, 5/2 Grenoble Midem Festival du 26 au 28/01 à Cannes, avec Madness, Archive, C2C, Lou Doillon, Asaf Avidan, Birdy Hunt, etc. Mondkopf 5/12 Paris, Social Club Owlle 3/12 Paris, Casino de Paris, 12/12 Paris, Nouveau Casino, 30/1 Toulouse, 31/1 Montpellier, 1/2 Marseille, 6/2 Lyon, 7/2 Dijon
retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com
Pierre Le Bruchec
Aline 28/11 Marseille, 11/1 Hyères, 24/1 Montpellier, 25/1 Bordeaux, 7/2 Orléans, 21/2 Paris, Café de la Danse
Foals 13/12 Paris, Maroquinerie, 23/3 Lyon, 25/3 Paris, Olympia, 26/3 Lille
Pendentif 29/11 Paris, Flèche d’Or, 7/12 Metz
nouvelles locations
Juveniles
Yan Wagner + Jupiter + Juveniles Oui Love Tour, le 20 novembre à Brighton Des faux airs de Festival des Inrocks, ou de soirée Kitsuné, pour ce plateau 100 % electro-pop française qui vient de visiter Brighton, Londres et Manchester. Quatrième édition de ce festival itinérant, largement soutenu par le travail de propagande du bureau export, Oui Love 2013 débute à Brighton avec un Yan Wagner à la rigueur implacable : la voix est grave parce que l’heure est grave et qu’il faut donc danser, sérieusement, pour oublier. Cette disco 2000, aux séquences exorbitantes, remonte pour cela à Moroder ou Human League – qui, ironie, jouera quelques jours plus tard à quelques centaines de mètres de là, dans un délicieux effondrement de l’espace-temps. Nettement plus porté sur la liesse, notamment sous les coups de butoir d’une basse dingue, Jupiter joue plus théâtral, à la limite du cabaret. Dessalé, voire salace, cet electro-funk jouisseur semble composé pour Madonna ou MTV – on parle d’un âge d’or que ces moins de 30 ans n’ont pas connu ! Saboté par une prise de courant taquine, le début de concert des Juveniles vire au cauchemar, mais le groupe retourne à son avantage cette farce, jouant avec plus de rage et d’urgence encore un set de plus en plus féroce et charnel. On y sent tout ce que la production de Yuksek a déjà apporté aux Rennais en terme de crêtes et de rebondissements. JB Beauvallet 28.11.2012 les inrockuptibles 95
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le diable au cœur Étoile filante de la littérature, Raymond Radiguet est mort à 20 ans en laissant derrière lui un roman culte et une somme d’écrits protéiformes, réunis dans un double volume. Retour sur le destin d’un “babywriter” avant l’heure.
A
vez-vous lu le chef-d’œuvre d’un romancier de 17 ans ?” C’est en grande pompe que Le Diable au corps paraît en mars 1923. Son éditeur, Bernard Grasset, n’a pas lésiné sur les moyens : affiches, réclames dans les cinémas et tirages colossaux entraînent une campagne publicitaire sans précédent pour un écrivain. La jeunesse et la précocité de ce garçon qui tutoie déjà les plus grands sont mises en avant, ce qui a pour effet d’en irriter certains. Si le livre est d’emblée un succès, et son premier tirage épuisé en une semaine, une partie de la presse ne se gêne pas pour le surnommer “le bébé Cadum de la littérature”. Neuf mois plus tard, le 12 décembre, Raymond Radiguet est foudroyé par une fièvre typhoïde. De “Monsieur bébé”, il accède alors sans transition au statut d’étoile filante des lettres françaises, assorti d’une gloire entretenue par ceux qui ont lancé sa carrière : Max Jacob, Louis Aragon, André Breton, sans oublier son mentor, ami (et amant ?) Jean Cocteau, “terrassé” par le chagrin – dès l’âge de 15 ans, Radiguet a fréquenté les avant-gardes littéraires de Montparnasse et de Montmartre, où traîne “la bande de Picasso”. Le volume de sa correspondance exhumée, fruit de vingt années de recherches par sa nièce, Chloé Radiguet, et Julien Cendres, offre un éclairage sur l’entrée fracassante de ce frêle adolescent sur la scène littéraire. Naissance à soi, d’abord, puisque Radiguet ambitionnait de devenir caricaturiste, à l’instar de son père, avant de se livrer corps et âme à la poésie. Aussi met-il tout en œuvre, dès 1918, pour
obtenir le soutien de ses “maîtres”. Ses premiers courriers, à Apollinaire, mentent sur son nom et son âge – le garçon signe Raimon Rajky puis se vieillit de deux ans – et trahissent une ambition bouleversante de maladresse. Sa dernière lettre à l’auteur de Calligrammes débute ainsi : “Cher maître, non je ne suis pas un fumiste…” Malgré une carrière littéraire fort mal engagée, notre poète aspirant voit ses espérances se réaliser l’année suivante, avec les retours élogieux de Max Jacob, Tristan Tzara et Aragon, qui souhaitent le publier dans leurs revues. C’est pour le futur jeune prodige, qui n’aura finalement publié qu’un recueil de poèmes de son vivant, Les Joues en feu, le début d’une vie mondaine tourbillonnante entre bals costumés, ballets russes, séances de spiritisme, cabaret, cirque, opéra, lectures et “soirée Dada”. La bonne société parisienne de l’immédiat après-guerre, en pleine effervescence intellectuelle et avide d’amusement, trouve son illustration dans le deuxième roman de Radiguet, rédigé entre ses 18 et ses 20 ans. Le Bal du comte d’Orgel met en scène une triangulation amoureuse entre un jeune aristocrate oisif, François de Séryeuse, et un couple en vogue, les Orgel. C’est un roman d’amour chaste, dans lequel l’auteur fait le récit d’une éducation et adresse une critique en creux à un monde de privilégiés avides de noyer le spectre des tranchées dans un bain de distractions. À travers cette quête stendhalienne, l’écrivain restitue la déception qu’a fait naître en lui sa propre expérience d’une amitié amoureuse avec une femme mariée, la peintre Valentine Hugo. Les thèmes de l’arrivisme social, de l’amour associé
Radiguet au cinéma Sa description par Cocteau est loin d’en faire un monstre de cinégénie : “Il était petit, pâle, myope, ses cheveux mal coupés pendaient sur son col et lui faisaient des favoris.” À la sortie du Diable au corps, pourtant, Gaumont et Pathé
n’hésitent pas à montrer des films publicitaires le mettant en scène dans le bureau de son éditeur, chez le libraire, ou encore à projeter sa photo chaque soir sur les écrans des cinémas de province – on imagine mal aujourd’hui MK2
nous imposer des photos de Florian Zeller par-dessus les bandes-annonces. Le Diable au corps, lui, a été porté à l’écran à deux reprises : en 1947 par Claude Autant-Lara, avec Gérard Philipe et Micheline Presle, puis en 1986 par Marco Bellocchio.
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en marge
quand Truman capote
Studio Lipnitzki/Roger-Viollet
L’histoire du manuscrit inachevé de Capote raconte l’ambivalence de l’écrivain face à ses sujets.
Raymond Radiguet à 15 ans, en 1918
à une félicité puis à une fièvre et enfin à une désillusion, habitent ce roman à la mélancolie étrange, indécidable, déjà annoncée dans le mélodrame qui a révélé ce génie précoce : Le Diable au corps. Si ce premier roman était encore pétri de “cette littérature naïve, invention du XIXe siècle”, dénigrée par le héros du Bal du comte d’Orgel, son propos – les amours clandestines d’un lycéen avec une épouse de soldat parti au front – fit scandale. Le pacte romantique y cède aux avances d’une “immoralité” assumée, tant il est vrai que Radiguet, dès le premier paragraphe, annonce la couleur : “Que déjà ceux qui m’en veulent se représentent ce que fut la guerre pour tant de jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances.” Une longue période de farniente au cours de laquelle le narrateur, âgé de 15 ans, et Marthe, qui en a 18, vont s’aimer et faire l’amour presque impunément. L’issue de cette liaison, bien sûr, sera fatale. Mais pas
assez pour étouffer la force charnelle des pages consacrées à leurs étreintes, ni la subversion que représente pour l’époque une telle union – elle aussi autobiographique. Sulfureuse, elle l’est en outre par son apparente banalité. Radiguet narre un adultère et son quotidien, qui brille par son absence d’effet de style : l’auteur s’en explique plus loin, dans le volume de ses Œuvres complètes – également riche de poèmes, articles et pièces de théâtre –, par cette phrase : “Efforcez-vous d’être banal”. Une recommandation qui colle peu à l’ascension fulgurante de cet enfant surdoué de la littérature. Le premier babywriter porté par un nuage publicitaire, tragiquement rattrapé par son mythe à 20 ans. Emily Barnett Œuvres complètes et Lettres retrouvées éditions établies par Chloé Radiguet et Julien Cendres (Omnibus), 896 pages, 25 € et 456 pages, 21 €
C’est l’un des cas les plus mystérieux de la littérature : qu’est devenu le dernier manuscrit de Truman Capote, Prières exaucées, dont une version inachevée était sortie après sa mort en 1984 ? Vanity Fair de novembre en publie un fragment inédit, un quatrième et bref chapitre intitulé “Yachts and Things”, accompagné d’un article-enquête passionnant. Capote voulait écrire sa Recherche du temps perdu avec cet ouvrage qu’il qualifiait de “roman à clefs” et qui racontait toute la vie de ses (très) riches amies – incestes, adultères, pulsions de meurtre, etc. Quand il publia le premier chapitre, “La Côte basque 1965”, dans Esquire en 1979, toutes le bannirent de leur high society. Ce qui est passionnant, c’est l’ambivalence de Capote : s’en étonner – s’étonner que ces gens ne comprenaient pas qu’il était avant tout journaliste et écrivain et qu’il ne fréquentait leurs soirées que pour les observer –, et en souffrir. Étrange schizophrénie de l’artiste tenant à son statut de critique distancié et voulant en même temps “en être”. Capote souffrit de perdre ses amies Slim Keith, Babe Paley, etc. – pourtant juste une poignée de socialites qui ne faisaient rien de leur peau sinon acheter des robes et paraître. Il en souffrit tellement qu’il aurait caché le manuscrit dans un coffre, espérant qu’on le retrouverait bien après son décès. Or la totalité de Prières exaucées, près de trente ans plus tard, reste introuvable. Et si Capote ne l’avait pas écrite, rongé par la drogue et l’alcool, et – thèse de son biographe Gerald Clarke – par la mort de Perry Smith, l’un des tueurs de De sang-froid, plutôt que par la haine de ces bécasses endimanchées ? Une lecture bien plus passionnante de l’impuissance littéraire et du lent suicide de Capote après De sang-froid.
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Vengeance de Johnnie To (2009)
la vengeance aux deux visages Dans Éloge de la vengeance, le philosophe Michel Erman confère une certaine grandeur morale à un geste contredisant les principes de la justice.
V
engeance : comme un indice de l’air du temps, le titre du dernier album de Benjamin Biolay rappelle que la pulsion vengeresse s’agite en chacun de nous. Depuis toujours, les individus sont habités par cette envie de rendre le mal pour le mal, comme si les offenses dont ils sont l’objet exigeaient réparation. Comme l’écrit le philosophe Michel Erman dans son stimulant Éloge de la vengeance, les philosophes la condamnent comme “une passion irrationnelle”, à l’exception notable d’Aristote et de Nietzsche. Pire, la vengeance n’est même pas “un objet de pensée”. La tradition platonicienne la rattache à l’ignorance d’une âme égarée, le christianisme théorise le renversement de la loi du talion en éthique du pardon… Notre croyance dans la supériorité morale du positivisme juridique trace surtout “une frontière entre la justice rationnelle, apaisante et civilisatrice dans son droit de punir, et la vengeance qui serait instinctive et sauvage, voire bestiale”. En dépit de sa mauvaise réputation, la vengeance se perpétue, telle une réalité anthropologique, ce que Spinoza avait déjà bien saisi lorsqu’il notait que “les hommes sont plus portés à la vengeance qu’à la pitié”. L’épopée du roman ou du cinéma nous le rappelle aussi constamment. Prenant acte de ses effets de répétition, Michel Erman se propose d’en justifier en partie le sens, moins pour saluer aveuglément un principe éthique problématique que pour mettre en lumière ce que l’acte dit en creux d’une aspiration à l’autonomie individuelle. Réfléchissant à ce que la vengeance dit
du désir confus d’affronter le mal et de reprendre le pouvoir sur soi, l’auteur interroge la face cachée de la vengeance, moins affligeante que dérangeante. “Pour pouvoir pardonner, il faut avoir le désir de se venger”, écrivait le philosophe allemand Max Scheler, tandis que le sociologue Émile Durkheim soulignait que “l’instinct de vengeance n’est en somme que l’instinct de conservation exacerbé par le péril”. Il n’est pas sain de demander à un individu de refouler ses colères, parfois justes, “c’est-à-dire d’effacer quelque chose du vécu en bannissant sa manière de se projeter dans le temps”, car c’est prendre le risque de le condamner à la passivité, au repli sur soi, voire au ressentiment. Le pur pardon semble appartenir à la sainteté et non à l’humanité, estime Erman, à l’inverse de la vengeance, qui est “une réparation”, dont la fin est “l’augmentation de soi ou de sa puissance d’être”. Rattachant ce geste à l’exigence de la justice, l’auteur le justifie au nom d’un principe de réciprocité, “qui est recherche de l’équilibre dans les échanges humains”. C’est le paradoxe de la vengeance : sous le signe apparent d’un geste frontal et brutal affleure une demande d’altérité, une façon de solder une dette, de reconstruire un lien social bafoué. En ce sens, la vengeance n’est pas si éloignée de la “juste peine”, théorisée par Paul Ricœur dans Le Juste : “la punition, surtout si elle conserve quelque chose de la vieille idée d’expiation, demeure une forme atténuée, filtrée, civilisée de la vengeance”. Jean-Marie Durand Éloge de la vengeance (PUF), 128 pages, 13 €
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Thomas Patterson
robots psycho Docteur en intelligence artificielle, Daniel H. Wilson imagine le soulèvement des machines dans un futur proche. Et inspire le nouveau Spielberg, prévu en 2014. ls ont colonisé de l’autre titan de la sci-fi, émettant l’hypothèse nos vies, nos foyers, H. P. Lovecraft. La critique d’une déshumanisation qui ont réussi à se rendre de l’exploitation à haut s’attaquerait au langage indispensables. risque des robots par et aux affects. Dans le monde que dépeint l’homme se révèle l’arbre La réflexion cybernétique Robopocalypse, premier qui cache la forêt : n’est pas ce qui roman d’un chercheur l’extinction de la civilisation caractérise en premier en robotique de 34 ans, humaine et l’angoisse lieu Robopocalypse. Il s’agit plus moyen de faire un pas que génère la place plutôt d’un bloc d’action, sans croiser l’un de ces croissante des machines un blockbuster addictif androïdes serviles. Ils se dans notre société, comme organisé autour d’un nomment Big Happy, Super putsch des machines contre internet : “Il faut savoir Toy, Sappy. Leurs fonctions qu’au tout début, l’ennemi les hommes. Une première sont multiples : être ressemblait à des trucs partie, intitulée “Incidents le meilleur ami des petites ordinaires : voitures, isolés”, relate les prémices filles, pourvoir en affection immeubles, téléphones”, du soulèvement aux conjugale, faire régner témoigne un survivant quatre coins du monde ; la paix au Proche-Orient. armé de son lance-flamme “Heure zéro” raconte le Sans les aimer, il faut basculement dans la guerre en pleine toundra postreconnaître qu’on ne peut apocalyptique. Avant civile, tandis que deux plus s’en passer. Quant dernières sections montrent donc l’avènement du robot à savoir s’ils ont un cœur... domestique psychopathe, comment s’organise Spielberg, le cinéaste de la “love-doll” étrangleuse la résistance, sanglante, ami des extraterrestres, et décrit la possibilité d’une et du “super toy” très qui tourne actuellement méchant, méfiez-vous renaissance de l’humanité. l’adaptation du livre des portables. Certains ont Tout cela nous est rapporté (sortie en 2014), ne déjà mordu des oreilles. du futur via une boîte noire, Emily Barnett pouvait que se prendre de sorte de “cerveau fossilisé” sympathie pour ce scénario, ayant enregistré les étapes Robopocalypse (Fleuve noir), certes mille fois rebattu, cruciales de la révolution traduit de l’anglais (Étatssur la frontière si ténue et l’éclosion de son leader, Unis) par Patrick Imbert, 438 pages, 20,90 € entre machine et humanité. le redoutable Archos. Encore récemment, On a déjà eu affaire Aurélien Bellanger, loin à toutes les inquiétudes d’avoir signé un roman distillées par cette dystopie. de science-fiction, consacre L’esclavagisme moderne, plusieurs chapitres asservissant un peuple de sa Théorie de l’information en ferraille, rappelle à l’intelligence artificielle le Philip K. Dick de Copies et à sa capacité à surpasser non conformes et les fables celle qui l’a engendrée, futuro-catastrophistes
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la vérité sur l’affaire Joël Dicker Jeremy Spierer
Écrit par un auteur suisse de 27 ans, finaliste du Goncourt, c’est le polar dont tout le monde parle. À tort ?
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la surprise de tous, un polar a raflé le prix de l’Académie française, s’est retrouvé finaliste du prix Goncourt et a finalement écopé du Goncourt des lycéens. Joël Dicker est suisse et a signé un roman policier qui s’est imposé comme la surprise de la rentrée. Mais bonne, ou mauvaise, la surprise ? Beaucoup l’ont acclamé, d’autres ont dit qu’il s’agissait d’un pompage de polars américains, à tel point qu’ils en étaient à chercher le nom du traducteur sur la couverture. La Vérité sur l’affaire Harry Quebert est certes un polar des plus classiques. Une jeune fille disparaît en 1975, on retrouve sa dépouille en 2008, et un homme qui n’est pas policier mène l’enquête de son côté. Ajoutez à cela des rebondissements à chaque chapitre, une écriture efficace à la place d’un style, quelques pensées pseudo-profondes sur le sens de l’existence, les secrets d’une petite ville qui se révèlent à mesure qu’on avance dans l’intrigue, et vous obtenez un véritable page-turner. Joël Dicker sait y faire, aussi incontestablement qu’il a lu pléthore de polars US et les ressort sous forme de compilation de poncifs. Mais l’auteur n’a que 26 ans au moment de l’écriture, n’en est qu’à son second roman, bref en est encore à un temps de la vie où l’on se purge de ses aînés. D’ailleurs, ce thème est au centre du livre, en même temps que la part belle qui est faite au statut de l’écrivain et au rôle de la littérature – on ne s’en plaindra pas. Marcus Goldman, le jeune homme qui mène l’enquête, est un écrivain en panne d’inspiration, et Harry Quebert, l’homme inculpé du meurtre de la jeune Nola (15 ans à l’époque de sa mort, ce qui vous renvoie un peu trop ouvertement, en plus de son prénom, au Lolita
de Nabokov), un vieil écrivain qui lui a tout appris. Chaque chapitre s’ouvre sur un conseil d’écriture donné de Harry à Marcus, qui pourrait s’appliquer à l’enquête mais plus profondément à la vie, à la façon dont tout être se doit d’appréhender son existence s’il ne veut pas la gâcher. C’est joliment fait mais souvent naïf – comme cette idée qu’on ne naît pas écrivain mais qu’on le devient, qu’on peut “apprendre” à écrire comme on apprend la médecine ou le métier d’avocat. Hélas, c’est faux, sinon Dicker serait un écrivain, au lieu de n’être, au fond, qu’un romancier. En tant que polar lui-même, s’il surfe sur les thèmes chers à James Ellroy, le livre n’en a ni la langue ni l’univers pervers, trouble, obsessionnel. Il accumule les invraisemblances (les flics ne semblent être là que pour admirer les découvertes de Marcus) et s’acharne avec un tel sadisme sur la personne de la petite Nola (frappée sur les seins par sa mère ; harcelée par un type défiguré qui la force à se déshabiller ; abusée par à peu près tous les hommes ; suicidée, etc.), qu’on peine à le croire. Quant à la résolution de l’affaire, elle déçoit : après nous avoir fait suivre les histoires que chacun entretenait avec Nola, après nous avoir lancés sur des pistes intéressantes avec force pages et détails, Dicker sort de son chapeau un meurtrier des plus fade, qu’on connaît à peine et dont on se fiche plus que royalement. Tout ça pour ça ? Non. À la fin, Marcus réussit à publier un nouveau roman. Ouf ! Le monde peut s’écrouler et les êtres souffrir, tout ce qui semble compter pour un auteur, au final, ce serait encore et toujours sa petite personne. Nelly Kaprièlian La Vérité sur l’affaire Harry Quebert (Éditions de Fallois/ L’Âge d’Homme), 670 pages, 22 €
la 4e dimension Jeanette Winterson vs Amazon trésors rétro Avec sa nouvelle collection Belfond Vintage, Belfond exhume des romans devenus introuvables, des classiques oubliés. À paraître en janvier Les Saisons et les Jours, de l’Américaine Caroline Miller, prix Pulitzer 1934. Il faudra patienter jusqu’en septembre 2013 pour redécouvrir Crazy Cock, roman de jeunesse d’Henry Miller.
La romancière anglaise propose de taxer Google, Amazon et Starbucks pour renflouer le budget des bibliothèques britanniques. Une façon de dénoncer l’évasion fiscale à laquelle s’adonnent les géants du net en Europe.
Éric Reinhardt au théâtre Le romancier signe sa première pièce de théâtre. Élisabeth ou l’équité, l’histoire d’une DRH aux prises avec le capitalisme, viendra clore la trilogie formée avec ses deux précédents livres Cendrillon et Le Système Victoria. Elle sera montée la saison prochaine au Théâtre du Rond-Point à Paris.
Simon Liberati, romantique En janvier, l’auteur de Jayne Mansfield 1967 revient avec 113 études de littérature romantique (Flammarion), rêveries libres sur le thème du romantisme à travers les figures de Fitzgerald, Capote ou Modiano.
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Riad Sattouf La Vie secrète des jeunes t. 3 L’Association, 140 pages, 19 €
Canada dream La saga d’un âge d’or rêvé de la BD canadienne, déployée avec humour et poésie par un auteur au sommet de son art.
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in connaisseur de l’histoire de son art, l’auteur canadien Seth a fait de la bande dessinée même une de ses sources d’inspiration. Dans Wimbledon Green, paru en 2006, il prenait pour sujet les collectionneurs et autres passionnés de BD. Dans La Confrérie des cartoonists du Grand Nord, ce sont cette fois-ci les auteurs qui sont au centre de son récit, situé comme plusieurs de ses œuvres dans la ville fictive de Dominion. Seth se fait le guide du bâtiment ayant hébergé cette association et se sert de cette visite comme prétexte et trame de sa narration. Détaillant minutieusement chaque pièce, de l’entrée et ses bas-reliefs au bar et ses fauteuils club, il en profite pour passer en revue les différents auteurs et dessinateurs ayant fréquenté la maison pendant l’âge d’or de la BD canadienne, qu’il situe dans le courant du XXe siècle. On traverse ainsi des lieux chargés d’objetssouvenirs de toutes sortes – trophées, originaux, objets publicitaires – mais surtout d’histoires. Seth les évoque au fil du récit, mêlant biographie des cartoonists et monographies de personnages, redessinant des strips célèbres ou des bandes dessinées marquantes.
Évidemment, cette époque bénie et ce Canada où les auteurs de comics auraient été des stars, enseignés à l’école primaire et acclamés lors de parades, n’a jamais existé. Avec sa dextérité narrative habituelle et son imagination borgésienne, Seth invente ce passé riche et heureux, crée de toutes pièces la plupart des dessinateurs dont il parle – quelques-uns, de James Frise à Chester Brown, sont pourtant bien réels, au lecteur avisé de les distinguer ! À travers des détails précis sur les BD qu’il invente et leurs héros (comme l’excellent Kao-Kuk, l’astro-Eskimo) et des anecdotes plus vraies que nature (la disparition mystérieuse d’un auteur, le déroulement des banquets de la confrérie), il donne vie et épaisseur à toute cette scène factice et se montre d’une sublime empathie envers elle. Faussement nostalgique de cet âge d’or qui n’est qu’une illusion, Seth démontre avec un humour doux-amer et poétique son amour et son respect infinis pour les auteurs et leurs créations, et pour la bande dessinée en général. Anne-Claire Norot
Riad Sattouf continue de scruter les comportements bancals de tout un chacun. Rires et malaise. Ce troisième volume de La Vie secrète des jeunes confirme le don de Riad Sattouf pour l’observation entomologique de la société. Croquant toujours ses proies depuis diverses terrasses et wagons de métro, ses lieux d’investigation favoris, il ne rate aucun vocable djeun’s, aucun look calamiteux. Alors qu’on commence par rire, le malaise s’installe rapidement et on est presque gêné d’assister à ces conversations absurdes, à ces comportements bancals. Car à travers ces saynètes montrant un couple qui se régale au McDo, des parents débordés d’enfants insupportables, des ados qui s’engueulent ou des individus imprévisibles, c’est l’impossibilité de vivre ensemble, l’incommunicabilité, l’indifférence et la misère sociale qu’il pointe. Plus que jamais, à travers les scènes qu’il retrace si cliniquement que c’en est cruel, Riad Sattouf fait preuve d’une acidité terrible et géniale. Devant la tristesse et l’indigence de certaines discussions, on aimerait croire, parfois, que ce champion de l’humour dérangeant a tout inventé. A.-C. N.
La Confrérie des cartoonists du Grand Nord de Seth (Delcourt), traduit de l’anglais (Canada) par Julien Gangnet, 136 pages, 22,95 €
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le bal des fous réservez Hate Radio création de Milo Rau et de l’International Institut of Political Murder (IIPM) Hate Radio restitue sur scène les émissions de la radio rwandaise RTLM, où la pire idéologie raciale s’intercalait avec les derniers tubes de la musique congolaise, et fait intervenir des survivants du génocide. du 4 au 15 décembre au Théâtre Paris-Villette, Paris XIXe, www.villette.com
Médée de Cherubini, direction musicale Christophe Rousset, mise en scène Krzysztof Warlikowski Troisième Médée présentée au Théâtre des Champs-Élysées, après ceux de Charpentier et de Pascal Dusapin. Le livret se concentre sur le retour de Médée à Corinthe le jour des noces de Jason et de Dircé. De cet opéra romantique, Krzysztof Warlikowski fait une tragédie contemporaine, avec Nadja Michael dans le rôle-titre. du 10 au 16 décembre au Théâtre des Champs-Élysées, Paris VIIIe, www.theatrechampselysees.fr
Les Chiens de Navarre investissent la Ménagerie de verre, et durant une heure relisent à leur manière (forte) l’histoire de la danse chorégraphiée. Déjanté, frénétique, inoubliable.
S
ans vouloir gonfler à l’hélium l’ego de ses visiteurs du soir, force est de constater que la Ménagerie de verre est au spectacle vivant ce que la Kitchen d’Andy Warhol fut aux arts visuels. Un creuset d’artistes – où les studios de danse jouxtent la salle de spectacles – définitivement fâchés avec le consensus, le compromis, l’esprit de sérieux et les bonnes manières. Or, en fait de ménagerie de verre, l’espace tout en longueur, sombre, bétonné du sol au plafond bas, et pourvu d’un rideau de fer qui se lève et s’abaisse dans un fracas métallique, s’avère être un garage. C’est la première contrainte, de taille, pour les artistes qui s’y produisent. Contrainte que Les Chiens de Navarre, collectif théâtral dirigé par Jean-Christophe Meurisse, retournent comme un gant, exploitant chaque recoin de l’endroit en le rendant à sa fonction première de garage, tout en explorant avec leur facétie coutumière et leur insolence notoire l’art auquel il est désormais dévolu, la danse. Parce qu’on connaît et apprécie leur façon (apparemment) potache et (réellement) subversive d’envisager in situ les conventions du spectacle, de la mise en scène au jeu des acteurs en passant
par la scénographie et l’attention portée au public, pour y dégoupiller faux-semblants, académisme, pédanterie ou formalisme poussif, le titre de leur dernier opus est en soi un régal : Les danseurs ont apprécié la qualité du parquet. Lorsque s’ouvrent les portes de la salle, le public découvre un espace chamboulé, au sol recouvert d’une épaisse couche de terre où brûle un feu de bois, qu’il doit traverser en passant devant un couple s’agitant furieusement le croupion au rythme caliente de Ba moin en ti bo de La Compagnie Créole, pour aller s’asseoir sur les gradins placés au fin fond du garage. C’est parti pour une heure de voyage furieusement déjanté dans des paysages chorégraphiques familiers, avec neuf filles et garçons masqués qui ne diront pas un traître mot, se jetant dans la danse et dans tout ce qui, corporellement, peut produire du mouvement, mécanique ou organique, en usant de l’humour et du gag visuel pour en souligner, façon commedia dell’arte, les figures, styles et signes de ralliement. Se succèdent danse butô, version zombies sortis du placard, danse classique, de l’échauffement clope au bec à l’évanescent pas de deux de Roméo et Juliette et ses jetés casse-gueule, danse indienne remise au goût Bollywood du jour, claquettes sur
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côté jardin
la tentation de l’exposition
Les danseurs ont apprécié la qualité du parquet, la toute dernière création des Chiens de Navarre
trois planches pourries… La palette est large et les séquences s’enchaînent jusqu’à l’étourdissant finale, qui réussit l’exploit de restituer en un même geste le Boléro de Ravel chorégraphié par Béjart et Le Sacre du printemps de Pina Bausch, aspergeant généreusement les premiers rangs de brassées de terre fraîche. Une scène d’anthologie se trouve au cœur de leur “performance sentimentale et barbare” : l’irruption par la porte du garage d’un ballet de trois voitures et d’une moto d’où s’échappent une bande de fêtards, au son tonitruant de ZZ Top, pour faire valser les carrosseries, claquer les portières, boire un coup, en tirer d’autres à la carabine pour finir sur une orgie frénétique cadencée par l’ouverture du Guillaume Tell de Rossini, immortalisée par l’Orange mécanique de Kubrick. Musculairement aussi, le public donne son maximum et repart les zygomatiques endoloris d’avoir tant ri. Ah, les Chiens… Fabienne Arvers Les danseurs ont apprécié la qualité du parquet création collective des Chiens de Navarre dirigée par Jean-Christophe Meurisse, Ménagerie de verre, Paris XIe, dans le cadre des Inaccoutumés, compte rendu, www.menagerie-de-verre.org Les Chiens de Navarre en tournée L’autruche peut mourir d’une crise cardiaque en entendant le bruit d’une tondeuse à gazon qui se met en marche le 30 novembre à Brétigny-sur-Orge ; Une raclette les 13 et 14 décembre à Toulouse
Philippe Lebruman
Le musée peut-il devenir le meilleur ami de la danse contemporaine ? Il y a tout juste un an, on découvrait l’exposition Danser sa vie au Centre Pompidou, succès public plus que critique. Au-delà du constat découlant, selon les deux commissaires Christine Macel et Emma Lavigne, de “l’impossibilité d’exposer la danse”, on a eu le sentiment que les chorégraphes actuels étaient les grands absents de l’événement. Ainsi, Xavier Le Roy, approché par Beaubourg, avait décliné l’invitation. Quelques mois plus tard, Le Roy présentera à Barcelone, puis à Rennes, au musée de la Danse, dans le cadre du festival Mettre en scène, Rétrospectives, une exposition autrement plus vivante : des solos, une dizaine d’interprètes présents, pour ce que le créateur décrit comme une “exposition conçue comme une chorégraphie d’actions”. Avec le souci de faire du visiteur un spectateur. Ou l’inverse. Dans un registre plus fantasque, Philippe Decouflé – l’un des “refusés” de Danser sa vie ! – a envahi l’été dernier la Villette avec ses machines à rêver et à danser. Opticon se voulait à la fois un répertoire d’inventions et un livre d’images. De Moscou à Rennes, le Decouflé circus, aussi participatif que jouissif, reprend la route. Mais c’est sans doute Tino Sehgal, performeur inclassable, qui a le mieux pensé le musée en mouvement. Invité par la Tate Modern de Londres à occuper son immense Turbine Hall cet automne, il en a fait une scène de tous les possibles : jeu de lumières, interprètes murmurant aux oreilles des promeneurs, chorégraphie d’ensemble, chorales de voix et de gestes, son installation était la première du genre dans ce lieu prestigieux. On espère qu’un musée français donnera un jour cette liberté à nos chorégraphes.
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chorégraphie Emmanuelle Vo-Dinh Prisonnier d’une danse sans fin, le spectacle d’Emmanuelle Vo-Dinh peine à trouver son souffle. Revolve s’ouvre sur la vision en clair-obscur de sept danseuses derviches, le poignet accroché au “ciel” du théâtre. Une danse sans fin qui bientôt accapare l’espace, du sol aux coulisses. Dans les secousses du Vortex Temporum du compositeur Gérard Grisey, merveilleusement servi par l’Ensemble TM+, la chorégraphie d’Emmanuelle Vo-Dinh tente d’explorer la spirale, figure qui renvoie aussi bien aux danses traditionnelles qu’à une certaine modernité. Il existe dans Revolve une vraie grâce, illustrée par cette soliste à genoux sur le plateau dans un mouvement serpentin du plus bel effet, ou ce travail à partir du bassin qui donne l’impulsion à la gestuelle. Hélas, la qualité de la distribution est souvent prise en défaut, comme si une partie des danseuses essayaient de suivre l’autre. C’est flagrant dans l’un des rares ensembles, corps agglutinés qui s’éparpillent dans une fuite en avant. Le rythme si puissant de la musique de Grisey manque encore dans le mouvement chorégraphié. Gageons que le temps changera la donne. Emmanuelle Vo-Dinh, nouvelle directrice du CCN Le Havre HauteNormandie, a donné à sa compagnie le beau nom de Phare et prépare un festival pour janvier prochain. Elle saura retrouver la bonne direction. Philippe Noisette Création au Volcan, Le Havre, Festival Automne en Normandie. Compte rendu. Le 14 février à L’Arsenal, Metz
Manuel Harlan
Revolve
Shakespeare déchire En musique et en chansons, une Nuit des rois caustique et truculente aux Amandiers de Nanterre, superbement interprétée en anglais dans le texte par la compagnie britannique Propeller.
E
tes-vous un comédien ?”, demande Olivia à Cesario. Shakespeare excelle à glisser ce genre de réplique dans son théâtre, créant un délicieux effet de mise en abyme. Comédien, Cesario l’est à plusieurs titres. D’abord parce que son vrai nom est Joseph Chance, qui interprète ce personnage dans la mise en scène de La Nuit des rois par la compagnie Propeller. Ensuite parce que Cesario, qui s’appelle en réalité Viola, est une femme déguisée en homme. Échouée à la suite d’un naufrage sur les côtes de l’Illyrie, Viola dissimule son identité de femme. Effet d’autant plus amusant que la compagnie Propeller a pour principe de faire interpréter les rôles féminins par des hommes, comme au temps de Shakespeare. Pour corser le tout, Viola a un frère jumeau, Sébastien, disparu au cours du naufrage. Dans cette contrée délurée, Viola tombe tout d’abord sur le duc Orsino. Amateur d’alcool et de musique, il se languit d’amour pour la belle Olivia, qui reste insensible à ses avances. L’entrée en scène de Feste, bouffon patibulaire qui chante en s’accompagnant d’un ukulélé, installe l’atmosphère canaille de ce spectacle truculent. Un verre à la main, une bouteille dans l’autre, Orsino, affalé dans un fauteuil, énumère d’une voix pâteuse les qualités d’Olivia, qui porte le deuil de son frère mort. Aussi est-ce voilée qu’elle reçoit Viola, venue en ambassadrice, envoyée par Orsino.
Charmée par ses talents d’orateur, elle en tombe aussitôt amoureuse. Dans l’entourage d’Olivia, le deuil est porté de façon variable. Malvolio, son intendant, en bon puritain, est vêtu de noir. En revanche, le voile et l’attitude générale de Maria, sa suivante, composent une parfaite parodie de leur maîtresse. Avec la complicité de sir Toby et sir Andrew, deux incorrigibles noceurs, Maria joue un tour pendable à Malvolio. Dans un jardin inspiré du film L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais, le puritain se voit remettre une lettre où, croit-il, Olivia lui avoue son amour. Cette scène, admirable, est un des temps forts de ce spectacle très enlevé. Malvolio se présente bientôt à sa maîtresse en bas résilles jaunes et slip SM à clous, arborant un sourire niaisement enjôleur. Jouant d’un décor amovible manœuvré par les acteurs eux-mêmes, l’affaire rebondit entre manipulations et quiproquos. Le trouble est à son comble quand le duc s’étonne des émotions que lui procure la présence de Cesario ; sans parler de l’arrivée de Sébastien qui complique encore les choses. Rondement mené, en musique et en chansons, un spectacle délicieusement caustique. Hugues Le Tanneur Twelfth Night (La Nuit des rois) de William Shakespeare, mise en scène Edward Hall, jusqu’au 2 décembre au Théâtre NanterreAmandiers, www.nanterre-amandiers.com
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Art, Talks and Sensations. The Island/A Game of Life, organisé par Abu Dhabi Tourism and Culture Authority, concept Fabrice Bousteau, photo Eftychia Kazouka
Abu Dhabi : une enfance de l’art vernissages Mathieu Mercier Après un retour réussi en février dernier au Credac, Mathieu Mercier présente à la Fondation Ricard un ensemble inédit de pièces, dont certaines reviennent après des années passées dans ses carnets de recherche. jusqu’au 12 janvier à la Fondation d’entreprise Ricard, Paris VIIIe, www.fondation-entreprise-ricard.com
autour des Roms À l’occasion de l’expo de Bertille Bak au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, une table ronde stimulante et plus que jamais d’actualité intitulée : “Roms, migrants et nomades contemporains : cultures mobiles et destins précaires ?” le 29 novembre à 19 h au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris XVIe, www.mam.paris.fr
Sur les bords du golfe Persique, aux Émirats arabes unis, la culture est devenue récemment une priorité nationale et un enjeu international. Reste à offrir une place aux artistes.
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ien que son ouverture soit planifiée pour 2015, le chantier du Louvre Abu Dhabi a à peine débuté. Mais Jean Nouvel, son architecte, est sur place dans le cadre des conférences données à l’occasion de la Foire d’art contemporain, pour en discuter. Il n’est pas venu seul : Frank Gehry est également venu évoquer son projet architectural pour le Guggenheim qui devrait voir le jour en 2017, ainsi que Norman Foster, occupé à bâtir le Zayed National Museum, un musée dédié à l’histoire et à la culture des Émirats arabes unis, après avoir conçu le pavillon des ÉAU, présenté à Shanghai pour l’expo universelle de 2010 et désormais érigé in situ. À cette liste d’édifices pharaoniques en forme d’arches entrelacées ou de bunkers vitrés, il faut ajouter le bâtiment prévu par Zaha Hadid pour abriter le spectacle vivant et la musique (The Performing Art Center) afin d’entrevoir le paysage du district culturel de Saadiyat Island à l’horizon 2017 : une île d’une poignée de kilomètres carrés cernée par les eaux chaudes couleur turquoise du golfe Persique et celles, plus
bleues encore, des piscines des hôtels de luxe, qui ont devancé les musées. Mais pas la foire d’Abu Dhabi, qui existe depuis quatre ans. Bref, la capitale, après Dubaï la dévergondée et Sharjah l’expérimentale, qui mise sur sa biennale, complète la panoplie émiratie : l’art contemporain y trace sa route, pavée de pétrodollars, sous les bons auspices du marché et de l’institution. On peine pourtant encore à discerner une vision de l’art originale qui s’appuierait sur des thématiques ou des formes propres à une scène locale. À côté de la foire, l’exposition The Island/ A Game of Life s’y risque. Assemblée par Fabrice Bousteau, le rédacteur en chef de Beaux Arts magazine, elle s’appuie sur la topographie d’Abu Dhabi, perlée d’îlots, pour divaguer sur le thème de l’insularité. L’expo se drape dans une scénographie sophistiquée – murs noirs laqués, rideaux de tulle flottants et éclairage théâtral – et y disperse les œuvres en archipels. Camille Henrot y convoque la figure de Daniel Defoe à travers une de ses installations florales, qu’une peinture
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encadré
bankable Quel est le sport le plus pratiqué dans le champ de l’art ? Le “fund raising”.
The Island/ A Game of Life, la grande exposition présentée cet hiver sur Saadiyat Island
de Marc Quinn relaie sur le thème de la survie – le tableau réunit en effet des espèces de fleurs qui ne peuvent pas, naturellement, pousser les unes à côté des autres. L’île, zone forclose et asphyxiante, devient ici aussi le réceptacle de toutes les utopies, à travers les monceaux d’extraits de textes philosophiques ou poétiques qui s’affichent au mur, sur le même plan que les œuvres. L’expo, à la fois diserte et planante, se veut un peu hors sol mais reste, du coup, un peu trop au large (du désert et de la scène locale). Fabrice Hyber corrige néanmoins le tir. Cherchant à travailler avec des matériaux propres au territoire local, il met la main à la pâte en réalisant des peintures au moyen de pétrole brut ! Comme en miroir, la galerie gb agency expose en ce moment à Paris celui qui passe pour le premier artiste important des Émirats. Hassan Sharif, aujourd’hui âgé de 61 ans, a d’abord observé dans ses caricatures satiriques l’avènement de cette pétromonarchie (fondée en 1971) avant de développer un travail conceptuel, encadré dans un système mathématique compliqué où la grille est un motif récurrent. Il se tournera ensuite vers la performance et une œuvre dont le désert constitue à la fois le cadre et le sujet. Un filon à suivre. Judicaël Lavrador The Island/A Game of Life jusqu’au 6 janvier, Saadiyat Island, Émirats arabes unis, www.saadiyatculturaldistrict.ae Hassan Sharif jusqu’au 21 décembre, à la galerie gb agency, Paris IIIe, tél. 01 44 78 0060, www.gbagency.fr
En quoi consiste le “fund raising” ? C’est la recherche de financements pour arrondir les débuts de mois des musées et des centres d’art. Tout le monde s’y met dans le champ de l’art international, et de plus en plus dans les institutions publiques : directions mais aussi conservateurs de musée et services de communication. Idem pour les agences de com privées, les curateurs freelance et les artistes eux-mêmes – Fabrice Hyber finançant avec ses collectionneurs et mécènes son expo solo au palais de Tokyo, Anselm Kiefer faisant la même chose au Grand Palais pour Monumenta, Bernar Venet itou à Versailles… Certes, on n’avait pas attendu pour ça la baisse du budget ministériel des arts plastiques, mais les coupes à venir et la politique libérale du ministère risquent d’amplifier le phénomène et d’augmenter la dépendance du public vis-à-vis du marché. Les musées, ainsi, verront leur budget d’acquisition d’œuvres divisé par deux (de 20 millions d’euros en 2009 à 8,5 millions). Impossible dès lors de concurrencer les grandes collections internationales, sinon en les attirant, encourageant ainsi à une drague éperdue du mécénat privé. Quelles sont les règles du fund raising ? Il n’y en a pas vraiment. Concurrence des musées pour obtenir une donation, expos publicitaires, dépendance, voire déférence des lieux d’art vis-à-vis du marché, absence de déontologie qui pousse nombre d’institutionnels publics à devenir les conseillers occultes de grands collectionneurs, voire à servir de guides lors de la Biennale de Venise ou de la Foire de Bâle… Ici, les conflits d’intérêts n’en sont pas vraiment. À ce jeu, les meilleurs sont évidemment les plus bankable, ceux qui rapportent le plus à l’institution. C’est à l’aune de cette bankabilité, plus que sur les compétences esthétiques, scientifiques ou intellectuelles, qu’on fait désormais son mercato culturel…
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À Marseille, la première rétrospective consacrée à l’œuvre d’Édouard Levé. Visionnaire et universel.
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ans son tout dernier roman, auréolé du prix Médicis étranger, l’écrivain israélien Avraham B. Yehoshua utilise le phénomène de la “rétrospective” qu’un ciné-club consacre à un vieux réalisateur afin de produire un récit plein de souvenirs et de retours en arrière pour remonter le cours d’une existence. Je dois dire que c’est un peu cela qui se produit en visitant la première “rétrospective” consacrée à l’artiste et écrivain Édouard Levé depuis son suicide en 2007, à l’initiative du metteur en scène Hubert Colas et du festival actOral. Par-delà le deuil, amplifié par l’imposant cénotaphe au sol de marbre froid que
Courtesy Succession Edouard Levé et galerie Loevenbruck, Paris
l’œil était dans la tombe
Actualités, Le Toast, 2001
constitue le musée d’Art contemporain de Marseille, ce qui frappe, peut-être tout autant que le fait d’entendre à nouveau sa voix ou de revoir son visage dans un petit film verbal tourné à l’époque par Valérie Mréjen, c’est en somme “l’actualité” d’Édouard Levé. À commencer par sa série Actualités (2001) évidemment, images de presse déconnectées de tout événement précis, qui sont à voir comme les images génériques de la vie politique : l’inauguration, l’ovation, la signature de l’accord, etc. C’est aussi le caractère intact de sa plus fameuse série, Pornographie, où des personnages prennent des poses sexuelles hard, habillés comme on l’est dans le
secteur tertiaire. Implacable de précision, de froideur, de justesse vis-à-vis du monde actuel, l’œuvre d’Édouard Levé pétrifie le vivant pour produire les images génériques, les “stéréotypes” du monde contemporain. À tout revoir, on se prend bientôt aussi à tout relire, tant s’impose la continuité qui relie les travaux photographiques de Levé à ses projets littéraires : Œuvres en 2002, Journal en 2004, ou l’implacable Autoportrait, publié également chez P.O.L en 2005. Des textes si précis, si génériques, si universellement d’aujourd’hui. Jean-Max Colard Édouard Levé jusqu’au 20 janvier au musée d’Art contemporain de Marseille, www.actoral.org
en image
photo Aurélien Mole
Byron Bay etc. de Julien Carreyn Ce sont de toutes petites photographies, nimbées d’une noirceur caverneuse, qui saisissent des formes molles, des monticules piquant du nez ou des espèces de stalagmites bosselées. On ne devine pas qu’elles sont en pâte à modeler. Mais c’est écrit sur le cartel, ainsi que le fait qu’elles ont été sculptées par les patients d’un centre hospitalier des Yvelines lors d’un atelier de pratique artistique animé durant un mois par Julien Carreyn. Lequel laissa aussi ses ouailles photographier et imprimer en basse résolution ces “paysages fabriqués”. Surréalisants, touchant à une tradition de la subversion des images, quand celles-ci, dans
leur matière même, informent un réel biscornu, turgescent et érotique, les clichés prennent plaisir à se grouper par paires, par trios ou par grappes, pour former, dans cette dernière salle du Centre national Édition, Art et Images réaménagé, un autre paysage fabriqué. L’accrochage est impeccablement artificiel, qui part en feu d’artifice sans jaillir très haut, et même plutôt très bas. Il est aussi salace et vorace (il s’allonge) et fait ressortir l’ombre plus que la lumière. Photos à contre-jour de contours souterrains. Judicaël Lavrador
jusqu’au 27 janvier au Centre national Édition, Art et Images, Chatou (78), www.cneai.com
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webibliothèques publiques En lançant sur le net leurs plates-formes ouvertes au savoir et à la connaissance, France Culture et France Télévisions tentent de se réconcilier avec des publics lycéens et étudiants enfin pris au sérieux.
C
omplexe à saisir par l’entrelacement de ses circuits, le rapport qu’entretient la communauté étudiante avec les médias audiovisuels oscille entre l’aspiration et le rejet. Par-delà leur goût partagé pour les genres les plus créatifs (séries, émissions culturelles…), beaucoup d’entre eux ne se retrouvent pas dans l’offre dominante, comme si leurs préoccupations ne trouvaient aucun écho dans le paysage médiatique, à quelques exceptions près. En dépit de ces malentendus et de ces murs qui les séparent, le monde étudiant reste une “cible” privilégiée pour certains médias (France Culture, France 5, Arte…), dont les contenus exigeants peuvent nourrir sa curiosité et satisfaire son envie d’élargir un savoir en formation continue. Conscient de la nécessité de ne surtout pas décrocher de ce public jeune et curieux, le directeur de France Culture, Olivier Poivre d’Arvor, lance cette semaine un nouveau
projet censé répondre à une demande diffuse dans le monde universitaire : France Culture Plus, une webradio dédiée aux étudiants proposant des conférences, des entretiens avec des chercheurs, des récits in situ de la vie des campus… Cette plate-forme ressemblera à une sorte de “webcampus”, précise le patron de la radio, fier des derniers chiffres d’audience de mi-novembre : 2,1 % d’audience cumulée, soit la meilleure audience de l’histoire de la radio depuis sa création, il y a presque cinquante ans (elle a été lancée en 1963). En gagnant 165 000 auditeurs en une année, France Culture prouve qu’elle a des ressources, notamment du côté des étudiants. Avec France Culture Plus, elle voudrait les combler plus encore, à défaut de les divertir purement et simplement en les détournant du droit chemin de la connaissance. “Le projet a d’emblée séduit la communauté universitaire, notamment les quatre-vingts
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au poste
Trust de David Schwimmer (2010)
chaque établissement mettra librement à disposition des internautes les cours magistraux ou conférences de leur choix
présidents d’université en demande d’une reconnaissance de leur travail, mais aussi la Conférence des grandes écoles et les étudiants eux-mêmes, regroupés dans le réseau Radio Campus”, précise le directeur de France Culture. En liaison avec tous ces partenaires, France Culture Plus proposera ainsi “des contenus conçus au plus près de la vie et des attentes étudiantes”. Le réseau des Radio Campus (une vingtaine de radios FM en lien direct avec le public étudiant, réparties sur tout le territoire) produira plusieurs émissions, notamment musicales (Starting Block) et sociétales (Univox). Chaque établissement mettra librement à disposition des internautes les cours magistraux ou conférences de leur choix (enregistrés ou filmés). Sur cette offre locale, France Culture greffera ses propres productions, en puisant dans ses archives des émissions permettant d’enrichir un sujet précis (économie, histoire, philosophie, sciences…). Par ailleurs, sept programmes exclusifs seront diffusés chaque semaine dans France Culture Factory : des entretiens avec des doctorants et des portraits de chercheurs par David Christoffel ; une émission de Martin Quenehen sur la vie étudiante ; une revue du web par Clément Baudet ; des récits en immersion par des étudiants pilotés par Sonia Kronlund ; des parcours d’étudiants étrangers par Céline du Chéné ; des auditions d’élèves de conservatoires et d’écoles d’art dramatique ; des sessions
live proposées par Laurent Goumarre… D’autres programmes devraient enrichir en 2013 cette première offre (un journal européen produit par des élèves d’écoles de journalisme…), afin de couvrir le plus de spectres possibles de la vie étudiante. Mettre à disposition de tous, démocratiquement, gratuitement, les savoirs dispersés dans un espace culturel infini et sans centre : ce projet traversé par un fantasme de “Bibliothèque d’Alexandrie” rejoint de loin la démarche entreprise par France Télévisions qui lance son nouveau site, FranceTV Éducation. Centré sur les savoirs à destination des plus jeunes élèves mais aussi de leurs parents et enseignants, du primaire au lycée, ce site répond aussi au souci d’éducation populaire à laquelle s’associe dans ses fondements mêmes (parfois dévoyés) l’audiovisuel public. Pour Rémy Pflimlin, patron du groupe, ce nouveau site participe de la mission d’éducation de la télé publique. “L’image a toujours été utilisée par le monde de l’éducation, ne serait-ce qu’à titre d’archive, si l’on repense aux premiers cours filmés de la Sorbonne, explique-t-il. Aujourd’hui, France Télévisions a voulu marquer l’importance absolue qu’elle attache à la projection de sa mission éducative dans l’avenir des pratiques de nos concitoyens et des enseignants.” Bruno Patino, directeur du développement numérique à France Télévisions, précise que son “ergonomie donne un accès rapide et simple à des contenus multimédias gratuits et innovants sélectionnés pour leur qualité éducative : articles et dossiers, diaporamas et vidéos, infographies et frises chronologiques, sélection de programmes TV, web-documentaires ou encore activités interactives…” Censé accompagner les petits et grands enfants tout au long de leur scolarité, le site se déploie à travers six thématiques : apprendre, jouer, s’orienter, décrypter, accompagner, enseigner. De l’école primaire au collège, du lycée à la fac, de France Télés à France Culture, les voies d’accès à la connaissance élargissent ainsi leurs territoires sur le web, lieu de rassemblement de savoirs disséminés. Jean-Marie Durand France Culture Plus plus.franceculture.fr Francetv Éducation francetveducation.fr lire aussi p. 114
les soirs de l’extrême L’émission de Frédéric Taddeï Ce soir (ou jamais !) fait la part belle aux réactionnaires. La vocation d’une émission de débats, telle que le démontre l’émission Ce soir (ou jamais !) depuis six ans, tient à l’orchestration de la polémique intellectuelle, intégrant au cœur de son dispositif le principe fécond du désaccord : les affrontements qui s’y déroulent sont l’expression d’un débat démocratique sain et légitime. Tous les courants de pensée s’y retrouvent, des ultralibéraux à l’extrême gauche ; des chercheurs négligés par la télévision peuvent y déployer leurs idées. De ce point de vue, Ce soir (ou jamais !) a été, et reste encore, un espace de discussion précieux révélant un large spectre de regards sur le monde social. Pour les téléspectateurs proches du camp “progressiste” (aux frontières évidemment larges), le spectacle de Ce soir (ou jamais !) génère pourtant de plus en plus de gêne et d’incompréhension : la cohorte de cinglés de la pensée conservatrice d’ultradroite qui y prend ses quartiers fait froid dans le dos… et chaud dans les gorges hurlant d’effroi face à ces nouveaux ultraréactionnaires que même Jean-François Copé n’oserait copier (encore que). Connaîtrions-nous tous ces illuminés d’une civilisation chrétienne d’un autre âge si l’émission ne prenait goût à les inviter ? De Richard Millet à Renaud Camus, de Paul-Marie Coûteaux à Anne-Marie Delcambre, de Véronique Genest à Frigide Barjot (dans le genre “saltimbanques en roue libre”), que n’a-t-on entendu comme pures ignominies contre les homosexuels, les musulmans, les immigrés, sur le racisme anti-Blancs et autres bien-pensants de la gauche morale ! Au secours, l’ultradroite revient, elle est passée par le plateau de Ce soir (ou jamais !), son antre télévisuel. Il faut s’accrocher pour l’affronter.
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PPDA, le “Plan de prévention de l’antidépression” de Zazon sur Rendez-vous à Paris
YouTube se déchaîne En annonçant le lancement de soixante chaînes thématiques, le site d’hébergement de vidéos propose une alternative à l’offre télévisuelle classique.
L
ors du récent Marché international des programmes audiovisuels (Mipcom), à Cannes début octobre, la plate-forme YouTube a annoncé le lancement de soixante nouvelles chaînes thématiques en France, en Allemagne, en GrandeBretagne et aux États-Unis. Des chaînes à la demande, à audience potentiellement mondiale, nées dans un contexte de transformation complète des usages télévisuels. Engagée depuis plus d’un an dans cette voie visant à élargir les frontières du paysage télévisuel (une centaine de chaînes existent déjà outre-Atlantique), YouTube a trouvé sur le marché français quelques partenaires motivés. Des mastodontes des médias, comme Lagardère Active
YouTube concentre 800 millions de visiteurs uniques par mois dans le monde
qui lance une chaîne sur la santé, Doctissimo Play, ou Endemol avec une chaîne de divertissement, It’s Big, se placent déjà sur ce marché naissant. Des boîtes de production plus modestes font aussi partie des nouveaux aventuriers de YouTube : Kabo Productions avec la chaîne d’humour FFSK, Troisième Œil avec la chaîne de cuisine Let’s Cook et une autre sur l’univers de la télé, VeryWatch, Black Dynamite avec Studio Bagel sur les images cinéma et web, Banijay Group avec Taratata on Air, déclinaison de la célèbre émission musicale… Parmi cette offre, la chaîne lancée par Capa Prod le 16 novembre, Rendez-vous à Paris, se distingue déjà par son ton et sa cible : les 15-35 ans, urbains, c’est-à-dire les étudiants visés par France Culture Plus (webradio de France Culture, lire p.112), et plus largement tous les curieux de la vie culturelle et nocturne. Pilotée par Claire Leproust, directrice des projets,
Rendez-vous à Paris propose des “street happenings”, des “city magazines” (Anne Depetrini, David Chabant…) et des webséries (Before, bientôt L’Agence d’Arnauld Champremier-Trigano, une fiction sur une vraie agence de com parisienne). Dans ce fourre-tout sympathique, la folle furieuse Zazon met le boxon avec une chanson et une chorégraphie censée redonner de la joie aux passagers moroses du métro et à des piétons silencieux : son hilarant PPDA (Plan de prévention de l’antidépression) se présente comme un antidote au poison de la sinistrose ambiante. Déjà présente à la télé dans la courte fiction Vebsérie du Vinvinteur sur France 5, présente aussi sur scène à travers son spectacle autobiographique Zazon déchire sa mère, la comédienne adepte des happenings de rue donne le ton fantaisiste de cette chaîne urbaine : gonflé, pétillant. Zazon déchire YouTube (elle prépare
aussi l’Élisabeth Show sur Allociné et la série Roxane sur Chéri 25 !). Encore prisonnières de formats courts et pas forcément toujours très originaux, toutes ces chaînes lancées sur YouTube préfigurent en partie le paysage de la télé de demain. Pour les responsables du site, il ne fait pas de doute que la vidéo sur internet représentera à court terme 90 % du trafic sur les réseaux. Rien qu’aujourd’hui, YouTube concentre 800 millions de visiteurs uniques par mois dans le monde. Tous ces créateurs de contenus peuvent déjà profiter du système d’avance sur recettes publicitaires mis en place par YouTube pour encourager la production de programmes inédits, qui doivent encore inventer une grammaire propre à un espace post-télévisuel encore indécis, entre ses promesses annoncées et ses déconvenues possibles. Jean-Marie Durand lire aussi page 112
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Collection Rudolf Bölts
du 28 novembre au 4 décembre
En France, à l’heure allemande
Ils sentaient bon le sable chaud… les légionnaires
documentaire de Serge de Sampigny. Mardi 4, 20 h 50, Arte
Infrarouge – L’argent de la Résistance documentaire de David Korn-Brzoza. Mardi 4, 22 h 50, France 2
Alors que la majorité des Français s’accommodait de l’Occupation, la Résistance s’escrimait à financer son travail de sape. Programme complémentaire sur deux chaînes. Sur Arte, En France, à l’heure allemande : deux heures de films et de photos amateurs de l’époque, complétés par des témoignages. Images aussi candides que terribles sur l’Occupation. D’abord charmés par les envahisseurs qui font risette et jouent aux touristes, les Français moyens deviennent plus circonspects au fur et à mesure que l’Occupation s’éternise… L’Argent de la Résistance, sur France 2, offre une perspective plus étonnante, démontrant précisément comment le gouvernement de la France libre réfugié à Londres parvint à subvenir à ses besoins et à fournir le nerf de la guerre aux maquis coordonnés par Jean Moulin. Une fois que la GrandeBretagne et les États-Unis comprirent que de Gaulle ne leur laisserait pas les coudées franches en France après la Libération, ils coupèrent les vivres au gouvernement en exil et à la Résistance, laquelle se mit à réquisitionner nourriture et argent auprès de la population, voire à se livrer à des hold-up spectaculaires. Vincent Ostria
documentaire de Jérôme Lambert et Philippe Picard. Dimanche 2, 22 h, France 5
ma cité va se soigner Juliette Warlop filme avec empathie la naissance d’un centre de santé, créé par des médecins conscients de leur fonction sociale, dans un quartier défavorisé.
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es patients du docteur Didier Ménard pleurent dans son cabinet de le voir partir à la retraite. Dans la cité du Franc-Moisin, en Seine-SaintDenis, sa présence rassure. Plus qu’un simple médecin soignant les blessures de vies usées, il apaise les souffrances du quotidien : sa parole, son écoute, sa moustache généreuse, son empathie naturelle en ont fait l’ami de la cité. Alors que le médecin de campagne affronte la solitude de gens isolés, le médecin de cité se frotte, lui, aux visages de l’exclusion urbaine et de la misère sociale. Conscient de sa fonction centrale dans l’économie locale, Didier Ménard a décidé de créer un centre associatif, la Place Santé, au cœur de la cité, qui lui survivra, afin que chacun puisse être suivi par d’autres soignants attentifs. Entouré de jeunes médecins motivés par cette conception d’une médecine consciente de sa vocation sociale, Didier Ménard rattache sa mission à un geste militant, bien loin des préoccupations de certains médecins libéraux. La documentariste Juliette Warlop filme au plus près des plaies de la cité et de l’énergie vivifiante des médecins la naissance de ce centre. Interrogeant chacun de ces jeunes médecins admirables, consignant quelques consultations ardues, elle met en lumière la grandeur de cette “cause médicale du peuple”. La “relève” qu’elle filme à travers le passage de relais d’une génération de médecins à l’autre pourrait aussi constituer la relève d’une certaine conception de la santé, inscrite à la fois dans une économie territoriale et dans une réflexion politique globale qui conditionne sa raison d’être. Juliette Warlop met autant de soin dans le regard dense, attentif, qu’elle porte sur ses personnages que les médecins eux-mêmes en mettent dans leurs gestes quotidiens. Grand film, grande médecine. Jean-Marie Durand
Grandeur et décadence de la Légion étrangère. Petit topo sur un corps d’élite en voie de désuétude, la Légion étrangère. Créée en 1831 pour accompagner la conquête de l’Algérie par la France, la Légion a été le fer de lance du colonialisme. Traduire : la troupe chargée des basses besognes, c’est-à-dire de la pacification à la baïonnette des pays envahis. On a eu l’idée géniale d’épargner ces tâches ingrates aux Français en constituant ce corps avec des étrangers de toutes origines et conditions, qui pouvaient y trouver non seulement le gîte et le couvert, mais aussi une forme de rédemption – le changement de nom étant autorisé dans la Légion. D’où sa réputation, en partie justifiée, de vivier de crapules. De nombreux SS et soldats allemands, qui ont profité de ces particularismes pour s’engager dans la Légion après la Seconde Guerre mondiale, se sont retrouvés aux avant-postes de la guerre d’Indochine. Cela n’empêcha pas le légionnaire de devenir un mythe populaire, chanté par Piaf, célébré par Hollywood, incarné par Jean Gabin ou Gary Cooper… V. O.
La Relève documentaire de Juliette Warlop. Samedi 1er, 22 h, Public Sénat
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Docteur Cyclope d’Ernest B. Schoedsack (1940)
plaisirs partagés Construire son PC, sa tablette, sa console de jeux, sa voiture ou même son drone : avec l’open-source hardware et ses ressources mises en commun, c’est possible !
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’importe quel garage est une usine high-tech potentielle”, affirmait en janvier 2010 Chris Anderson. Cette déclaration du rédacteur en chef de la revue américaine Wired, qui publie en France Makers, la nouvelle révolution industrielle (Pearson), est aujourd’hui une réalité. Il a d’ailleurs franchi lui-même le pas en cofondant DIY Drones, une start-up qui développe des aéronefs commandés à distance et bon marché. Après l’open-source appliqué aux logiciels, l’open-source hardware (ou OSHW) – aussi appelé DIY pour do it yourself – pourrait révolutionner de nombreux secteurs. Cette expression désigne des machines dont les plans ont été rendus publics afin que quiconque puisse les fabriquer, les modifier et les utiliser. Comme pour les applications libres, le but est d’améliorer les programmes et de distribuer ces perfectionnements pour que tout le monde en profite. Il existe aujourd’hui environ deux cents projets communautaires dans le monde. On en recense dans tous les domaines, dont certains sont très en vogue, comme les imprimantes 3D permettant de créer des pièces et objets en plastique. Beaucoup concernent le high-tech, du smartphone GTA04 aux baladeurs multimédia en passant par les consoles de jeux vidéo (GP2X, Pandora, Dogs…), les appareils photo et les tablettes tactiles (Liquidware, Spark…). Il existe des projets encore plus étonnants : une machine à laver, des voitures, comme la C,mm,n (prononcez “common”), imaginée par une association écologiste néerlandaise et trois universités, ou encore du matériel médical libre (prothèses, solution logicielle pour l’électrocardiographie…). Tous ces projets sont soutenus par des passionnés. En France, ils sont peu nombreux mais très motivés. Parmi eux, Hackable Devices se définit comme “une plate-forme technique d’échanges autour du matériel et des appareils open-source”. C’est à la fois une boutique en ligne de matériel libre et une communauté fédérant cinq cents utilisateurs actifs (hackers, créateurs, fabricants…). D’autres sites, comme digitalspirit.org et madeinfr.org, présentent des blogs et des projets de DIY.
améliorer les programmes et les distribuer pour que tout le monde en profite Cette image de bidouilleurs laisserait à penser que ces projets ne sont pas viables économiquement et ne séduisent pas les investisseurs. Certes, l’OSHW est encore loin de l’open-source pour les logiciels (2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France et quelque 30 000 emplois), mais certaines sociétés atteignent le million de dollars de revenus, comme DIY Drones et le projet italien Arduino, qui s’est appuyé sur un réseau d’environ deux cents distributeurs dans le monde pour écouler plus de 300 000 cartes mères (à environ 30 € l’unité) depuis sa création en 2005. Ces “couteaux suisses” électroniques sont surtout utilisés en domotique (contrôle d’appareils domestiques), en robotique et pour concevoir des prototypes. Quelques programmes ont réussi à séduire des investisseurs, comme Printrbot (imprimante 3D), qui a levé 830 000 dollars en décembre 2011, ou des grands groupes. Il y a un an, le constructeur automobile Ford s’est associé à Bug Labs, une start-up américaine créée en 2006 spécialisée dans la réalisation de modules matériels, pour développer des gadgets électroniques. Mais l’arrivée d’actionnaires et la signature de contrats avec des sociétés privées ne sont pas toujours bien vues par la communauté, qui estime que ces projets s’éloignent de la philosophie défendue par l’open-source. C’est le cas de MakerBot, créé en 2009. Ce projet d’imprimantes 3D a déclenché la colère de ses membres lorsqu’ils ont appris que de nouveaux actionnaires, dont Jeff Bezos, le patron d’Amazon, avaient apporté 10 millions de dollars. Depuis, MakerBot a embauché cent cinquante personnes et ouvert sa première boutique (avec des modèles vendus entre 1 000 et 10 000 dollars !) à Manhattan. On est loin du petit garage de geeks… Philippe Richard
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Laurence Anyways Clôture de l’amour
un film de Xavier Dolan
cinéma
texte de Pascal Rambert, Grand Prix de littérature dramatique, organisé par le CNT
Dans les années 1990, Laurence annonce à Fred, sa petite amie, qu’il veut devenir une femme. Envers et contre tous, ils affrontent les préjugés de leur entourage, et bravent les phobies de la société qu’ils dérangent.
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La pièce, créée en juillet 2011 au Festival d’Avignon avec Audrey Bonnet et Stanislas Nordey, a connu un véritable triomphe auprès du public tout au long de sa tournée en France. Un succès désormais international. À gagner : 10 exemplaires
Hate Radio de Milo Rau, du 4 au 15 décembre, Théâtre à la Villette (Paris XIXe)
scènes Pour la première fois en France, l’Institut international du crime politique (IIPM) reconstitue une émission de radio-télévision libre des mille collines (RTLM), la radio rwandaise génocidaire. À travers le jeu théâtral, une tentative de compréhension de l’incompréhensible.
La Place Royale de Corneille, du 28 novembre 2012 au 13 janvier 2013, Théâtre du Vieux-Colombier (Paris VIe)
scènes Angélique et Alidor sont unis par une passion réciproque. Tout irait pour le mieux si l’extravagant Alidor ne préférait sa liberté à sa maîtresse. À gagner : 5 x 2 places pour la représentation du 6 décembre
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Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, jusqu’au 3 janvier 2013, salle Richelieu, Théâtre Éphémère (Paris Ier)
Scènes Promise à Dorante, Silvia obtient de son père de rencontrer son prétendant sous le masque de sa servante Lisette, qui jouera le rôle de sa maîtresse. Face à ce jeu de dupes, les protagonistes jouent la comédie jusqu’à se perdre. À gagner : 5 x 2 places pour la représentation du 9 décembre
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fin des participations le 2 décembre
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art Empire Drive-In de Todd Chandler et Jeff Stark Fondée sur le système du drive-in, cette installation comprend un écran de cinéma et, en guise de fauteuils, des voitures sorties de la casse agrémentées d’enceintes. Un projet ambitieux mais accessible, spectaculaire et amusant.
création
Tout(e) Varda L’univers de la réalisatrice, photographe et plasticienne à (re)découvrir grâce au coffret de l’intégrale de ses films.
Les Lignes de Wellington de Valeria Sarmiento Un projet de Raúl Ruiz dans la lignée de Mystères de Lisbonne, porté à l’écran par celle qui partageait sa vie.
Barbara Barbara, une femme qui chante Une riche anthologie se souvient de la grammaire fantasque de la longue dame brune.
Nancy Fraser Le Féminisme en mouvements ; Qu’est-ce que la justice sociale ? Deux essais d’une théoricienne majeure du féminisme américain.
Après mai d’Olivier Assayas Autoportrait générationnel des années 70, ode à la jeunesse de tous les temps.
livre Drugs Are Nice de Lisa Crystal Carver Pour se rappeler qu’il faut du courage pour se défaire d’une habitude, surmonter sa peur et atteindre l’art que l’on souhaite créer. Ces mémoires très cool évoquent l’errance, l’exploration, la survie. recueilli par Noémie Lecoq
Dark Dark Dark En concert le 28 novembre à Poitiers, le 29 à Laval, le 30 à Orléans, le 2 décembre à Paris (Maroquinerie), le 3 à Feyzin, le 4 à Strasbourg, le 5 à Reims, le 11 à Amiens. Le nouvel album du groupe, Who Needs Who, est disponible.
Ariel Pink’s Haunted Graffiti Mature Themes Le Californien livre un album rétro, futuriste, bordélique et méticuleux. Bill Clegg 90 jours Ancien accro au crack, le New-Yorkais nous enfièvre avec le vrai-faux récit de sa guérison.
Au-delà des collines de Cristian Mungiu Récit tendu d’un amour entre filles, avec Dieu pour rival.
Transformazium (projet collectif) Une initiative sociale et artistique née autour d’une église de Braddock, une ville postindustrielle sinistrée. Sur le long terme, il s’agit de créer un musée du changement social. Dans l’immédiat, restaurer le bâtiment redynamise la communauté.
Booba Futur Punchlines et gros son percutants : le retour de Booba fait mal au ventre et aux zygomatiques.
Lana Del Rey Born to Die – “The Paradise Edition” Un véritable nouvel album, riche et langoureux.
Les Revenants saison 1, Canal+ Coscénarisée par Emmanuel Carrère, une œuvre à la hauteur des séries américaines. Borgen saison 2, Arte Crise morale de l’héroïne au menu de cette nouvelle saison. The L. A. Complex June Les coulisses du cinéma et de la télévision à Los Angeles.
Salman Rushdie Joseph Anton Rushdie raconte comment il a vécu sa condamnation à mort par Khomeiny.
Nathalie Quintane Crâne chaud Pour parler de sexe et de politique, l’écrivaine se place sous l’égide de Brigitte Lahaie, l’ex-star du X.
Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB de Tardi Tardi marche sur les traces de son père, soldat enragé par la défaite de 1940.
Duncan, le chien prodige d’Adam Hines Premier tome d’une série qui fait cohabiter humains et animaux parlants.
Jours de destruction, jours de révolte de Chris Hedges et Joe Sacco Un pamphlet anticapitaliste à quatre mains.
Twelfth Night de William Shakespeare, mise en scène Edward Hall Théâtre NanterreAmandiers (92) En musique et en chansons, une Nuit des rois caustique et truculente interprétée par la compagnie britannique Propeller.
Mission mise en scène Raven Ruëll Nouveau Théâtre de Montreuil (93) Cinquante ans de la vie d’un missionnaire belge au Congo.
Le Retour d’Harold Pinter, mise en scène Luc Bondy Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris Bondy fait entrer les bas-fonds londoniens dans le théâtre à l’italienne de l’Odéon.
Akram Zaatari Magasin de Grenoble (38) Carte blanche au Libanais, qui plonge dans les archives de la guerre et réalise une archéologie au présent.
Skylanders Giants sur PS3, Xbox 360 À la frontière du genre vidéoludique. Grisant.
Neïl Beloufa Palais de Tokyo, Paris Une installation vidéo virtuose recycle les décors de films pour en faire l’architecture délabrée d’une expo labyrinthique.
Assassin’s Creed III sur PS3 et Xbox 360 Place à la guerre d’Indépendance américaine pour cette troisième aventure. Sans reniement ni rupture avec le fantasme du jeu total.
Bojan Sarcevic Institut d’art contemporain de Villeurbanne (69) L’œuvre fragile et poétique d’un sculpteur en état de grâce.
The Unfinished Swan sur PS3 Détournement intelligent et radical du jeu de tir.
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collection particulière Doug Headline
novembre 1991 et juin 1995
mes entretiens annulés pour cause de décès
Gene Tierney et Jean-Patrick Manchette
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a presse est une aventure à mille anecdotes : entretiens prolongés, raccourcis, imprévus, rencontres joyeuses, amusantes, tendues, agressives, défensives, interviews publiées avec un an de retard ou jamais imprimées, dossiers décidés trois mois en amont ou deux jours avant le bouclage, tout est possible, tout cela est arrivé au cours des vingt-six ans d’existence des Inrocks. Mais le truc le plus singulier, le plus imprévisible, le plus irrémédiable qui s’est produit deux fois dans mon parcours, c’est quand l’objet de ma sollicitation est décédé entre le premier coup de fil et la rencontre espérée : la grande faucheuse en rédac chef suprême dont les décisions ne souffrent pas l’ombre d’un début de débat. À l’automne 1991, nous décidons donc de tenter un entretien avec Gene Tierney, l’actrice unforgettable de Laura, Péché mortel, Shanghai Gesture ou L’Aventure de Madame Muir, à laquelle nous vouons un culte quasi fétichiste. Christian Fevret se procure je ne sais plus comment son numéro de téléphone personnel quelque part au Texas et j’appelle. Dring dring… Au bout de la ligne, la voix lointaine et inquiète d’une vieille dame. Ce n’est pas Gene mais sa sœur, Patricia, manifestement très surprise qu’on compose son numéro pour une demande d’entretien et qui me dit (en gros et de mémoire) : “C’est très gentil de téléphoner mais vous savez, ça ne va pas être possible, ma sœur est en ce moment très malade. Rappelez plus tard.” Embarrassé d’avoir dérangé au mauvais moment, je bredouille quelques mots d’excuse et promet de rappeler d’ici une semaine ou deux. Le lendemain, tous
les médias annoncent le décès de Gene Tierney. Je suis bouleversé et ressent alors un fort sentiment de culpabilité : je ne l’ai bien sûr pas fait exprès mais quand même, le fait est que j’ai embêté cette dame la veille de sa mort. Le malheur, c’est simple comme un coup de fil. La même mésaventure s’est produite, de façon moins brutale, avec l’écrivain Jean-Patrick Manchette, que je souhaitais interviewer non seulement en sa qualité de pape du néopolar seventies, mais aussi parce qu’il était un critique de cinéma franc tireur assorti d’un analyste politique radical – un sérieux ne se prenant pas trop au sérieux. On savait Manchette malade, terré dans son appartement du XIIe arrondissement, mais après lui avoir envoyé quelques exemplaires des Inrocks pour le convaincre, je lui avais parlé plusieurs fois au téléphone : il était réticent, disait que le moment n’était pas encore le bon, qu’il avait besoin de réfléchir encore à notre demande. Il avait lu les numéros envoyés et prenait le temps de converser téléphoniquement, de manière absolument courtoise, même si c’était pour me signifier un refus que j’espérais provisoire, d’autant qu’il avait l’air d’apprécier notre publication. Il avait ainsi remarqué que nous faisions suivre la conjonction “après que” de l’indicatif. Un journal bien édité était chose importante à ses yeux et cela suffisait à laisser la porte entrouverte pour un éventuel futur entretien. Manchette est parti avant que nous nous soyons recontactés, claquant cette porte entrouverte façon avis affichés sur la vitrine de certaines boutiques : “fermeture définitive pour cause de décès”.
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